« C’est todi les ptits k’on spotche »

« C’est todi les ptits k’on spotche »

C’est todi les ptits k’on spotche, c’est un proverbe wallon qu’on peut traduire par, c’est toujours les petits qu’on écrase. Ce proverbe a, longtemps, été une réalité pour Roman. Alors, malgré le risque de tomber sur un cliché, voici son histoire, un parfum de cour de récré, un témoignage sur ce qui se passe dans toutes les écoles du monde et dont tout le monde pourrait être victime.

En primaire, en secondaire, j’étais plus grand que la moyenne, maigre, des cheveux longs jusqu’aux épaules et un humour particulier. À cet âge, mon profil est ce qu’on peut considérer comme celui d’une proie, celui de quelqu’un qui sort de la norme imposée par le groupe des enfants du même âge. Lorsque l’on s’écarte du troupeau, la menace des loups devient plus grande. J’ai maintenant 21 ans, j’ai coupé mes cheveux, pris du poids, de la maturité et ma carrure s’est développée de façon à ce que les gens se découragent de me prendre pour cible. Une certaine façade qui m’est utile pour qu’on me laisse tranquille : m’adapter au groupe de personnes dans lequel je suis, aptitude durement apprise lors de mes années d’adolescence.

Harcelé

Dans nos années d’école, il y a toujours plusieurs catégories de personnes : les gens sans problèmes, et qui n’en causent pas, puis les leaders et les emmerdeurs. Les deux derniers sont souvent la même personne. Dans cet environnement cruel, semblable à une jungle, pour pouvoir être un leader, il faut savoir faire ses preuves. Diverses méthodes sont possibles pour atteindre ce statut : être quelqu’un de drôle et charismatique ou écraser ce qui est plus petit que soi, et établir une forme de « règne de terreur ». Ceux qui établissent ce règne marchent sur les plus faibles pour démontrer qu’ils sont au-dessus des autres. Malheureusement, dans leur chemin, il y a les gens comme moi, jeunes, éduqués à respecter leur prochain et sans défense face à ces prédateurs. L’adolescent est cruel. À cet âge, les failles des gens sont plus évidentes à déceler et, donc, plus faciles à exploiter. Dans mon cas j’étais bien évidemment une cible facile au vu de mon physique et de mon attitude de blagueur. Ces années ont été les plus dures de ma courte de vie, j’étais captif de ce cycle proie et prédateur et je rentrais presque chaque jour chez moi en pleurant. 

Choux-fleur, Romanichel, Gitan, Jésus…

En primaire, j’étais la cible de plusieurs personnes, et surtout de deux frères qui correspondaient bien à mon descriptif de l’emmerdeur. J’ai eu les remarques incessantes sur le physique, les surnoms pénibles (Choux-fleur, Romanichel, Gitan, Jésus…). Je me souviens d’un grand nombre d’altercations avec eux. En voici quelques-unes : le plus vieux des deux frères avait réussi à me pousser à bout avec ses remarques tout au long de la journée, si bien que, par rage, je l’ai frappé au visage alors qu’on faisait la file pour rentrer en classe. Avec ma force de brindille, il n’a bien entendu pas senti grand-chose, mais mon intention était passée. Il a dû me dire quelque chose dans le style de « t’es mort ». Le cours passe arrive la récréation. En arrivant dans le préau, deux de ses amis me saisissent par les bras et me clouent contre un mur. Immobilisé, je ne pouvais rien faire d’autre que de me laisser faire. Les adultes, chargés de surveiller la surveillance n’étaient pas là. Le grand frère s’en donnait à cœur joie pour me taper dessus pendant que les deux autres me tenaient. Lorsque l’éducateur est arrivé, ils m’ont lâché et sont partis comme si de rien n’était. Bien entendu, comme on dit en anglais, « snitches get stitches » (littéralement : les cafteurs prennent des points de sutures), je ne pouvais pas en parler sous peine de représailles. Dans la réalité, ça s’est arrêté là. Pas moyen de se défendre, pas de moyen d’en parler sauf sous peine de représailles. Par la suite, alors que j’avais osé aller me plaindre au proviseur de l’époque (comparable, à mes yeux, à une loque humaine tant son impact sur les élèves était inexistant), les coupables du dernier événement s’étaient pris une demi-journée de retenue chacun et avaient fini par me laisser tranquille pour le reste de l’année.

Frappé, épisode 2

La dernière partie de la phrase précédente est fausse, c’est con hein ? À cette période, on approchait du marché de Noël. Le jour même du marché de l’école, mes parents devaient venir me chercher vers dix-huit heures en raison de l’occasion spéciale. Entre le laps de temps de la fin des cours (16h) et de l’arrivée de mes parents (18h,) le même groupe, rappelle la meute de potes. Je suis fait attaqué, traîné dans la neige et roué de coups. Dans un état de panique totale, j’essayais de me défendre comme je pouvais en tapant dans tous les sens. Au bout d’un moment j’étais parvenu à toucher quelqu’un. Malheureusement, aveuglé par la neige et la rage, j’avais frappé la cuisinière de l’école qui était venue m’aider. Je l’avais atteinte en plein visage. Après m’être excusé très rapidement, ne pensant qu’à fuir, je me suis précipité pour rentrer dans le bâtiment avec trois des emmerdeurs à mes trousses. Mon objectif : le bureau du proviseur. J’avais une longueur d’avance, donc j’allais atteindre le bureau bien avant eux pour me mettre en sécurité grâce à la protection d’un adulte.  Malheureusement, il n’est pas arrivé. À cette heure tardive, il était chez lui, aucun adulte n’était dans le bâtiment, pas un prof, personne. C’est ainsi que je me suis retrouvé devant une porte fermée, acculé par trois enfants prêts à me faire mordre la poussière parce qu’ils me considéraient comme inférieur. Pris de panique, je me suis mis à fouiller dans une armoire située à l’extérieur du bureau du proviseur, à la recherche d’un objet, d’une arme pour me défendre. À force de fouiller, je finis par trouver un tournevis avec lequel j’ai menacé les trois agresseurs. Je pense que la détermination d’en planter un s’il osait m’approcher s’était bien lue sur mon visage, si bien qu’ils finirent par reculer et partir. Je suis probablement resté là, immobile avec mon tournevis en main, aux aguets, prêt à me défendre, de peur qu’ils ne soient pas réellement partis, un piège pour que je me sente tranquille. Heureusement, j’ai pu attendre sans risque que mes parents arrivent pour dégager de cet endroit. Le harcèlement ne reçoit pas assez d’attention et peut briser mentalement ses victimes. Le corps enseignant n’est pas du tout formé à ce sujet, donc la majorité des professeurs sont soit impuissants soit indifférents. 

Que ne fait pas ma prof ? 

Avant de rentrer en classe, il fallait se mettre en rang. Assez standard comme pratique. J’étais moi-même en train d’attendre que mon prof arrive lorsqu’un membre de ma classe, une des racailles de l’école, passe à côté de moi pour se mettre dans le rang, et m’envoie gratuitement un direct dans l’estomac. Peut-être trouvait-il ça drôle ? Me voilà donc à terre, avec du mal à respirer, plié en deux. Quelle ne fut pas la réaction de ma prof lorsqu’elle m’aperçut dans cet état ? “Bon, lève-toi, hein, j’ai pas que ça à faire”. Elle n’en avait rien à foutre.

Après tout cela…

Aujourd’hui, j’essaye encore de me détacher de ce passé qui me hante, je tente de faire la paix avec mes démons, mais ce n’est pas chose facile. Le système scolaire est mal foutu. Il est inadapté aux enfants sans défense. Ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas en parler, à nos parents, nos amis ou même encore aux professeurs pour qui le bien-être de leurs élèves a de l’importance. Je pourrais encore m’étendre très longtemps sur ce sujet, mais il y certains détails que je préfère garder pour moi.

A écouter aussi en podcast ici

Auteur : Roman, 21 ans, lambermont

Cet article a été produit lors d’un atelier Scan-R à distance

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