
L’ère de la gayrison
Aujourd’hui, j’ai vu un·e adelphe pleurer dans le train. Je me suis assise à côté d’iel, comme un phare qui guide la mer. Je l’ai senti·e comme une prémonition : une aura rose, blanche et bleue pastelle. Une douceur incarnée. C’est comme si la dernière place assise avait été illuminée pour que je m’y place. Malgré ma musique, j’entendais des sanglots étouffés, comme si le reste de sa ressource s’épuisait ; un craquement s’opérait. C’était trop tard. Le verre s’est brisé. D’un coup, un retentissement sourd, que seul·e·s les concerné·e·s entendent, éclate. Je n’ai pu m’empêcher de regarder d’où venait cet appel. Mon œil jeté, mon mouvement de cou, a entrevu une ligne d’un long message. Les larmes coulaient à flot. La mer s’est retirée. Trop rapidement. Ça ne peut pas être une bonne nouvelle. Une lourdeur m’a submergée. La Meuse se jetait dans la Mer du Nord. Toutes les portes se sont ouvertes. J’ellui ai tapoté le dos et tendu des mouchoirs. Iel m’a regardée, iel m’a vue. J’avais des larmes chaudes qui coulaient le long de mes joues. Malgré mon apparence, mon par-être, iel a remarqué mon pins. Tout s’est arrêté. Le temps et l’espace sont devenues élèves des maitre·sse·s que nous devenions. À ce moment-là, j’ai ressenti la douleur profonde, la mienne, chez une autre personne. Je mettais promises deux sacrements – qui transcendent le bien et le mal et ce qui a entre, voire même le tout– : 1. Pas de pitié pour les transphobes (élargissez cela à tout oppresseur) 2. Je ne laisserais jamais quelqu’un·e d’autre devoir subir/ ressentir une telle douleur, pas devant mes yeux. J’ai emporté tous les brise-lames. On pleurait à deux mais on était plus seul·e·s.
Je pense que c’est justement l’enjeu : on nous rend vide, sans sentiment, docile, terrorisé·e, fatigué·e, mort·e… nous dépérissons comme des ruines, nous ne parlons plus. Plus grave encore, nous perdons notre équilibre, nos passions : l’énergie nous quitte et ensuite nous ne savons plus traduire le monde par nos arts, par nos êtres. Et, c’est comme ça que je disparais.
Mais je pense que c’est ça aussi qui est doux et beaux : on est plus seul·e·s face à la vie, face à la différence, face à l’adversité ; on rencontre d’autres personnes trans plus jeunes (avec compassion), plus âgées (avec espoir). C’est beau de se sentir compris·e et vu·e ! On peut avancer en ayant moins peur car le partage de nos expériences nous soudent et nous rendent plus fort·e·s. On ne sera plus seulement la mer mais toutes les vagues qui la composent, qui se forment et se reforment à l’infini. On pourra être le vent, le sel, le sable, l’écume, les vagues, tout ce qui rend la mer, la mer. Tout ce qui va ensemble et se révèle donc plus grand. Il ne s’agit plus seulement de faire partie d’une communauté mais d’en être une sans exclusion – peu importe nos différences.
À l’heure actuelle, j’ai récupéré le feu de ma passion. C’est ici que s’échoue leur empire, leur oppression. Parce que, si je sais réécrire, ils mourront car je suis poétesse et j’occis avec les mots. Je suis non seulement gardienne de la lumière, je magne aussi les maux et en fait ressortir le phare qui guidera les bateaux, le soleil qui guide les abeilles, la lune qui guidait les gens déchues. C’est peut-être tout cela qui nous rapproche : apprendre à nous connaitre car la connaissance réduit nos peurs et augmente notre sagesse. Comme je l’ai dit à ma·on copain·e : moins de peur, plus de douceur.
J’espère que cette lettre te trouvera. Toi. Pour un monde meilleur sans haine, si cela existe.
Autrice : Zéphyre, 26 ans, Marche-en-fammenne
CET ARTICLE A ÉTÉ PRODUIT LORS D’UN ATELIER SCAN-R.