Et le reste alors ?

Et le reste alors ?

À voir tous ces articles sur le coronavirus, sur le confinement imposé à ceux qui le peuvent, et à me mettre moi-même en télétravail, je pense à tous les misérables qui sont encore plus laissés pour compte avec ce virus de merde. À la réflexion, je me dis que de nombreuses personnes ne sont pas trop mal… On est vraiment bien dans nos petits appartements, avec nos petites courses, notre wifi et nos livres. Mais les autres ? 

Merde quoi, ce sont encore les plus pauvres qui vont crever pendant qu’on se la coule douce dans notre canap’, à manger des trucs sains et à se remettre au sport ou au dessin. Et ça me met terriblement en rogne !! Franchement, l’humanité me déçoit, et je ne peux m’empêcher – même si je respecte les règles du confinement – de penser qu’encore une fois, ce virus nous montre à quel point notre système est pourri et décadent. Quand un virus peut te tuer directement, toi ou tes proches, tout le monde fait des efforts et respecte les consignes, le gouvernement met en place un système d’urgence, les supermarchés privés font des actions civiles, tout le monde donne du sien et remercie ceux qui sont en première ligne …


“on” a tous des oeillères

En temps normal cependant, quand il s’agit de vivre sa petite vie pépère alors qu’il y a la famine, les guerres, les réfugiés, le réchauffement climatique et j’en passe, là, personne n’est plus là… On en parle peu, on n’y fait pas attention, on consomme et tout va bien parce qu’on ne regarde pas. Quelle hypocrisie ! Des centaines de personnes meurent tous les jours, mais tant que ce n’est pas notre voisin, tout va bien. Et si tous ces maux étaient des virus qui pouvaient nous tuer, seraient-ils alors en voie de résolution ?


Une crise, vraiment ?

Oui, le coronavirus tue, des proches, des voisins, des personnes de notre pays et dans le monde. Le 7 avril, au niveau mondial, la carte de l’université John Hopkins affichait 1 348 628 personnes contaminées et 74 834 décédées. Et tout ce déploiement médiatique, pour un ratio de personnes touchées si moindre comparé à d’autres « crises ». Oui oui, parce que…

Famine

Savez-vous que la famine touche une personne sur neuf dans le monde ? Deux milliards de personnes sont en proie à une grave insécurité alimentaire. Et ce même si nous produisons plus de nourriture que ce qu’il faut pour nourrir les 7,7 milliards d’êtres humains. Et ce même si les principales victimes de la faim sont les populations paysannes, qui produisent donc la nourriture que l’on mange… (1)

 Conflits

Savez-vous qu’en 2017, ce sont 65,6 millions de personnes qui ont dû quitter leur foyer à cause d’un conflit ? Que la guerre et la violence armée est en cours dans plusieurs régions, comme la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, la République Démocratique du Congo, le Nigeria, le Yémen, la Somalie, la République centrafricaine, les Philippines, le Myanmar, la Palestine, le Soudan, la Libye, l’Afrique subsaharienne, le Cameroun, le Sahel, … et que beaucoup de ces régions sont sujettes à de l’ingérence européenne, américaine, russe, chinoise et j’en passe. Juste pour rappel, notre chère FN de Herstal produit des armes qui se retrouvent dans des conflits au Yémen.(2)

Toute cette violence, ce sont les civils qui en sont les premières victimes : hommes, femmes, enfants.

Réfugiés

Savez-vous que nous comptons 22,5 millions de réfugiés dans le monde, dont 1,2 millions ont besoin d’une réinstallation maintenant, et que 84 % d’entre eux sont accueillis par des pays en développement…pas par nous donc. Crise migratoire, oui, mais pour nous ou pour eux ? Le droit d’asile prévu par la Convention de Genève de 1951 ne semble plus d’actualité : les coopérations policières et militaires des états européens à leur frontière, la mise en place de Frontex (Agence européenne de gestion des frontières extérieures) et le discours politique sécuritaire général qui vise à stigmatiser les réfugiés, à banaliser leur cas et à leur rendre la tâche la plus compliquée qu’il soit pour obtenir le droit d’asile, ne font que démontrer la politique commune d’éloignement des étrangers arrivant en situation irrégulière. (3)

Réchauffement climatique

Savez-vous que le réchauffement climatique va entraîner un nombre incalculable de dégâts en tout genre : augmentation du niveau de la mer, ouragans et cyclones en masse, épisodes caniculaires et épisodes de froid polaires, multiplication des feux de forêts, flambée des prix alimentaires dus aux phénomènes météorologiques extrêmes, impact sanitaire, disparition des espèces animales, détérioration extrême de la grande barrière de corail, etc. Et vous pensez que tout ça n’aura aucun impact sur nos vies ? Pensez- vous que l’avancée technologique nous permettra de tout palier ? Et pensez-vous que l’on s’en sortira sans pertes écologiques et humaines désastreuses ? Que nos démocraties à bout de souffle tiendront le coup et géreront ce « collapse » ?  Que l’on continuera à vivre comme on le fait maintenant ? (4)

Je rigole.

Ce coronavirus n’est qu’une petite blague face à l’immensité de l’effondrement civilisationnel qui nous attend. On n’est pas dans un film post-apocalyptique de mauvais goût, on est dans une réalité logique et analytique. Pour preuve ? Simplement la lecture des rapports du GIEC – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. 

Ce n’est (encore) tout !

Et encore, ce ne sont que quelques exemples parmi les centaines qui existent et cohabitent dans cette humanité malfaisante : cancer, déploiement de la 5G (5), violences familiales et domestiques, criminalité organisée, extrémisme, menace nucléaire, perturbateurs endocriniens, bulle économique, extinction des espèces animales et végétales, amenuisement de l’eau potable, destruction massive des espaces naturelles, acidification des océans, pollution atmosphérique, déclin du pétrole, hyper-globalisation, inégalités effarantes, corruptions, délocalisation, ultralibéralisme, etc. etc. etc. Seulement, tous ces maux-là, tous ces problèmes, on y prête peu ou pas attention. C’est plus facile, ça permet de vivre tranquille, et puis surtout, ça ne se passe pas chez nous ou ça ne se vit / ne se voit pas directement, donc pourquoi s’inquiéter ? Notre confort, nos voyages, notre consommation passent bien avant le souci et la préoccupation de toutes ces vies, qui ceci-dit en passant, sont détruites par notre conduite.  

Système paradoxal, là où un virus nous renvoie à la tronche ce que les plus misérables, les moins bénéficiaires du système vivent tous les jours : la mort qui peut survenir à tout moment. Seulement, les plus pauvres eux, ils ne s’en soucient même plus. Parce que les plus pauvres, eux, ne pensent qu’à survivre malgré toutes les atrocités qu’ils vivent.

Récemment, je lisais d’ailleurs à ce propos le texte de Nesrina Slaoui (6), dans lequel elle expliquait que son père, entrepreneur ouvrier, ne pouvait pas télétravailler et qu’il continuait donc son travail. Pendant que certains se la coulent douce, moi y compris, d’autres continuent à abattre du travail, obligés par leurs conditions socio-économiques. Bah oui, le report des charges sociales, ce n’est pas ce qui va lui sauver la mise en tant que petit indépendant. Madame Slaoui concluait très justement « pour ces privilégiés, le confinement est une accalmie. L’occasion de profiter de leur grande maison en dehors des vacances d’été. L’occasion d’être en famille (…) Ils vous diront que c’est une quête spirituelle, le moment idéal de lire plein de livres, l’opportunité de se remettre au dessin, d’apprendre une nouvelle langue… Ils se sentent, eux, épargnés par la mort ». La boucle est bouclée donc, même si on ne veut pas les voir, les pauvres, les précaires, les misérables, sont eux touchés de pleins fouet par ce système capitaliste et son extrême instabilité, et ce n’est pas un virus qui les épargnera, que du contraire. Pendant que les grosses richesses continuent à s’en mettre plein les poches en détruisant toute forme de vie sur leur passage. 

Réveil, effondrement ?

Quand allons-nous nous réveiller, je vous le demande ? Parce que ce n’est pas avec le peu qu’on fait qu’on y arrivera. Et ce coronavirus n’est sûrement pas « un mauvais moment à passer », mais bien le début du pire. Il faut nous préparer à l’effondrement. En se préparant psychologiquement et matériellement à l’après-croissance, à la post-civilisation thermo-industrielle – s’il y en aura une. En apprenant la décroissance, en créant des espaces de résilience paysanne et socio-culturelle, en abandonnant nos privilèges consuméristes et en respectant notre premier habitat, la Terre. Mais pour l’instant, tout ce que je vois, tout ce que je ressens, c’est que ça fait bien longtemps qu’on nage dans la merde. Et qu’on n’est pas prêt de s’en sortir, virus ou pas virus. Inch’allah j’irai au paradis après cette vie. 

Et juste pour le plaisir, quelques paroles de Dominique Bourg (7) « On ne va pas sortir de la crise, c’est ce qu’il faut bien comprendre. On ne va pas revenir comme avant. (…) On rentre dans une dynamique de changement extrêmement profond et on y entre en fanfare. Il n’y aura pas d’après, il y aura un rappel permanent des difficultés, de la fragilité, du caractère non durable de notre société. Je ne vois pas du tout un retour à la normale. » 

(1) Sources : Nous sommes responsables de la plus grande famine de l’Histoire qui frappe actuellement l’Afrique Australe et des drames à venir,  29 janvier 2020, par la docteure Dorota Retelska de l’Université de Lausanne, Suisse – Source : En 2020, des millions de personnes seront confrontées à la faim, notamment en Afrique subsaharienne, 31 décembre 2019, sur le site des Nations Unies – Source : L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde – rapport 2019, 31 décembre 2019, sur le site des Nations Unies – Source : Pour la troisième année d’affilée, la faim progresse dans le monde, 15 juillet 2019, Mathilde Gérard, sur le site du journal Le Monde, Paris.

(2) Sources : Plus d’enfants meurent dans les pays en guerre que de combattants, 15 février 2019 ATS, sur le site du journal Le Temps, Lausanne – Source : Conflits armés et populations, sur le site d’Amnesty International France  – Source : Quelles sont les principales crises mondiales? La réponse en carte, 23 septembre 2016, Ximena Sampson sur le site de Radio Canada, Montréal.

(3) Sources : Où la guerre fait-elle rage dans le monde ?, 14 juillet 2018,  Ximena Sampson sur le site de Radio Canada, Montréal. Source : Conflits armés, sur le site d’Amnesty International France  – Source : Les réfugiés dans le monde, en chiffre, sur le site d’Amnesty International France  – Source : Le monde compte plus de 70 millions de déplacés, un record selon l’ONU, France 24, 19 juin 2019, sur le site de France 24, Paris.

(4) Source : 13 conséquences concrètes du réchauffement climatique, Emilie Jardin, 26 janvier 2020, sur le site de CNEWS, Paris.

(5) Le déploiement de la 5G par Proximus ces derniers jours réveille des questions auxquelles il n’y a pas encore de réponse. Le principe de prudence voudrait qu’on ne prend aucun risque et qu’on attend des études avant de déployer ce nouveau système. Hélas, ce principe n’est pas respecté.

(6) Nesrine Slaoui (Maroc, 1994), journaliste franco-marocaine à France Télévisions et à Bondy Blog

(7) Dominique Bourg (France, 1953), philosophe franco-suisse et candidat écologiste aux élections européennes de 2019 en France. 

Auteure : Céline, 24 ans, Bruxelles

Cet article a été écrit lors d’un atelier Scan-R à distance

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Ma couronne

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Il y a des couronnes pour les reines, pour les rois. Pour les grands d’Angleterre et d’ailleurs, elle est sertie de diamants, de pierres précieuses. Pour Moctezuma, souverain des Aztèques, elle était à plumes. Pour le Pape, elle se fait tiare et ne sort plus du Vatican… Pour l’épiphanie, elle se fait galette des rois… Mais l’histoire de la couronne de M’mah est d’une tout autre dimension ! 

Il y a bien longtemps maintenant, j’ai pris une décision étonnante : j’ai décidé de porter une couronne… permanente. Avant de porter cette couronne, de l’assumer et de la chérir, de la choyer, ma couronne était : « Chè pas comment tu fais avec des cheveux comme ça. », « Mouai, chè pas. J’préfère quand même les filles aux cheveux lisses » , « C’est dur, c’est sec, on dirait un balai à chiotte. » , « Wow ! Faudrait un peu les dompter, on dirait Tarzan »

Ma couronne faisait ressortir mon côté sauvage, sacrilège ! Il me fallait alors la civiliser, « hallelujah » s’écriaient donc mes camarades, professeurs et même… ma mère. Chaque mois donc, j’aimais appliquer cet acide qui se faisait le plaisir de brûler chaque millimètre carré de ma peau, de mon cuir chevelu. Ca piquait, ça brûlait, ça grattait, parfois même, ça saignait. Mais bon, il faut souffrir pour être belle, n’est-ce pas ? Ce n’est que quand ils tombaient en morceaux que j’ai compris. Le déclic s’est alors produit: Pourquoi laisser les autres me définir ? Comment se fait-il qu’il n’y ait personne, absolument personne, autour de moi pour célébrer la diversité du monde ? Pourquoi devrions nous tous ressembler à Barbie ? Vous savez, Mince mais quand même bien chargée, décoiffée mais soignée, bronée mais attention …. pas trop bronzée tout de même.

Vous voyez ma couronne ? Je l’aime parce qu’elle ne ressemble à celle de personne d’autre, et quand j’écris que j’aime ma couronne, je veux dire que J’AIME ma couronne. Je l’aime quand elle s’appelle « Crépus », « Sauvage », « Fatou », « Balai à chiotte », comme vous préférez,… Moi je m’en fous !!!!!

Ma couronne raconte mon histoire, M’mah Barthélémy Bangoura 21 ans, étudiante en Sciences politiques à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Ma couronne est mon symbole d’émancipation, Ma couronne me permet de me défaire de ces règles fictives que vous essayez de m’imposer, ma couronne est libre d’être et moi, je suis libre aussi. 

Attention encore aujourd’hui je reçois des commentaires désobligeants, Mais maintenant je sais pourquoi, Bah oui ! Comment ne pas être jaloux de ces cheveux qui défient même la gravité?!? 

Auteur : M’Mah, 21 ans

Cet article a été produit lors d’un atelier Scan-R

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De Conakry à Bruxelles, parcours d’un jeune réfugié

De Conakry à Bruxelles, parcours d’un jeune réfugié

Aujourd’hui Mamadou a 19 ans. Il est venu de très loin pour enfin arriver en Belgique et il n’est pas dit qu’il pourra y rester. Le 19 octobre, à Namur, avec l’aide d’une autre jeune, il a raconté son parcours depuis la Guinée Conakry jusqu’à Bruxelles. Il nous explique les étapes de ses pérégrinations vers un monde qu’il espère humain.

En février 2017, il y a eu à Conakry, en Guinée(1), plusieurs manifestations pour l’enseignement. Enseignants, syndicats et des élèves exigeaient de meilleures conditions de travail. Si l’accord a finalement été conclu, cela n’a pas été sans violences. Il y a eu cinq morts, quatre hommes, une femme. Mon grand frère participait à cette manifestation. Les policiers étaient là pour nous tabasser tout en disant que c’était nous qui provoquions leur violence…

Depuis son arrivée au pouvoir, en 2010, le Président Alfa Condé (2), a créé des conflits entre les différentes ethnies de Guinée Conakry. Il dit, par exemple, que les Peuls (3), nous sommes des étrangers et nous ne sommes pas dans notre pays. C’est pourquoi, lors des manifestations, les policiers s’attaquent à nous : le gouvernement les encourage à le faire. Toujours lors de cette journée, ils ont saccagé tous les magasins qui se trouvaient au bord de la route. Lorsqu’ils eurent terminé, tout le monde était en colère. Mon père a discuté avec eux. Il a expliqué qu’il porterait plainte. Il a dit qu’il avait besoin de ce magasin pour nourrir sa famille. Les policiers ont répondu qu’ils s’occuperaient de lui avant qu’il ne porte plainte. Mon père leur a dit que c’était à eux de nous protéger mais qu’à la place. Ils nous persécutaient et nous violentaient.

Mon grand frère lui a dit qu’il fallait se clamer, qu’il n’y avait pas de justice… Un policier à ajouté… “Ce n’est pas parce qu’on vous laisse manifester que vous pouvez faire tout ce que vous voulez…” Un de ses collègues a rajouté… “Laisse, on va s’occuper de lui” Ils sont remontés dans leurs 4×4 et ils sont partis. Après, mon grand frère a dit qu’on devait rentrer chez nous. Quand nous sommes rentrés, mon grand frère a cuisiné, on a mangé et on est resté dans le salon jusqu’à 23 h. Mon père a refusé de manger, il était trop en colère. À 23 h 30, nous sommes partis nous coucher.

Un peu plus tard, pendant la nuit, on a entendu un bruit… On s’est dit que ça venait de plus loin… Nous ne pensions pas que les policiers étaient dans la maison… Après, on a entendu un coup de feu. Mon grand frère m’a attrapé et nous nous sommes cachés derrière la maison. On a entendu “Il faut aller voir dans l’autre chambre si les enfants sont là-bas…” 

La fuite 

À la gare, on a rencontré un monsieur qui nous a amenés chez lui. Il nous a dit qu’il allait nous aider, nous faire sortir de Guinée, pour notre sécurité. J’ai demandé à mon frère si on pouvait faire confiance à ce monsieur. Il m’a répondu que, le plus important c’était de sauver notre vie. Comme c’est lui, grand frère, je l’ai écouté…

Malgré tout, nous sommes allés nous coucher. Réveillés à 5 h du matin, le monsieur nous a embarqués dans sa voiture et il nous a amenés au Mali. Là, on a pris un bus pour la frontière entre l’Algérie et le Niger. Nous sommes restés six jours en Algérie après, nous sommes arrivés en Libye… Et on a été directement en prison… Les chauffeurs ont dit aux gardiens que nous n’avions pas payé notre transport… 

Mon grand frère a dit que non, mais les chauffeurs avaient dit qu’ils allaient nous aider mais en vrai, ils nous ont vendus et nous, évidemment, nous n’en savions rien. Pour sortir, il fallait payer… On a reçu un téléphone pour appeler en Guinée afin de demander de l’argent qui permettrait de nous faire sortir. “Tant que vous n’aurez pas payé, vous ne sortirez pas.” Après cela arrivèrent les coups… Pendant trois mois, on s’est fait frapper par les gardiens.

Sauvés ?

Un matin, un homme est venu demander des hommes pour travailler. Il a choisi mon grand frère et il lui a proposé de choisir quelqu’un pour travailler avec lui. Mon grand frère ne voulait travailler qu’avec moi. Je suis donc parti avec lui et pendant des heures, on a travaillé dans les champs. Quand le travail fut terminé, le monsieur nous a donné de l’argent. Mon grand frère l’a refusé… Ce qu’on voulait c’était de l’aide pour sortir de là. Le monsieur était d’accord de prendre des risques pour nous aider… Il nous emmène chez lui, nous donne de l’eau, à manger, on se lave… Il nous promet un endroit où nous ne serons pas maltraités, pas insultés, pas frappés, un endroit où personne ne nous fera du mal.

Après avoir fini de manger, on va se coucher jusqu’à 23h et là, il nous réveille mon frère et moi. Après que nos yeux aient été bandés, on monte dans la camionnette qui était devant chez lui. On a été débarqué au bord de la mer et on est rentré dans la file pour monter un à un dans les bateaux. Il y avait beaucoup de monde…

Tout seul

Je suis monté dans le bateau. Après moi, il n’y avait plus aucune place. Mon frère devrait en prendre un autre. C’était la nuit, c’était la première fois que je montais dans un bateau… et c’est comme ça que j’ai perdu mon frère. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas si mon frère est monté dans un bateau ou pas.

De là, je suis arrivé en Italie, à Palerme, en Sicile. On nous a accueillis et on nous a mis dans un centre. Quelquefois, de nouvelles personnes arrivaient mais mon frère, toujours pas. Je suis resté 9 mois dans ce centre à l’espérer. J’ai posé des questions partout mais je n’ai aucune nouvelle.

Le Parc Maximilien

J’ai quitté l’Italie avec un Sénégalais. C’est avec lui que je suis arrivé en Belgique via la gare de Bruxelles-Midi. Il est parti chercher quelque chose à manger mais il n’est jamais revenu… J’ai rencontré un monsieur qui m’a dit d’aller au Parc Maximilien (4). J’y suis allé. Je suis arrivé le samedi 20 janvier et j’y suis resté jusqu’au mardi 23. C’est ce jour-là que j’ai fait ma demande d’asile. L’Office des étrangers (5) m’a donné l’adresse d’un Centre Fedasil (6). J’y suis allé mais je n’ai pas pu y rentrer parce que je n’avais pas fait de visite médicale. Je suis donc retourné au Parc Maximilien. De là, je suis reparti à la Porte d’Ulysse (7). Le mercredi 24, je suis retourné à l’Office des étrangers et j’ai expliqué que je n’avais pas pu rentrer faute de visite médicale. Je suis donc allé faire une visite médicale et suis retourné au Centre Fedasil. Là, nouvelle surprise, je n’avais pas été enregistré à l’Office des étrangers… Une assistante sociale m’a renvoyé là-bas. Je suis retourné au Parc Maximilien… Un chauffeur m’a ramené à la Porte d’Ulysse, j’y ai passé la nuit. Le jeudi matin, on m’a ramené au Parc et j’y ai passé la journée, ne sachant pas trop ce que je pouvais faire.

Une nouvelle famille

Le jeudi soir, j’ai rencontré ma famille d’accueil qui m’a hébergé qui m’a trouvé un avocat pour défendre mon dossier. Dans la famille, il y a Carmen, qui a le même nom que ma grand-mère et Nicolas. Le 14 février, j’ai été convoqué à l’Office des étrangers. Quand j’y vais, on me donne une nouvelle date pour un autre rendez-vous… Le prochain rendez-vous était pour juillet. Quand je m’y suis rendu, j’ai été conduit au Centre fermé 127 bis (8). Ils m’ont dit qu’on allait me ramener en Italie, le pays par lequel je suis arrivé en Europe… Avec mon avocat, on a fait un premier recours que nous avons perdu… On en a fait un deuxième qu’on a gagné mais cette décision n’a pas été acceptée par les autorités qui, à leur tour, ont fait appel… Au bout du compte, la justice m’a donné raison.

En attendant, j’étais toujours au Centre 127 bis… La famille qui m’accueillait a fait signer une pétition qui a reçu 6347 signatures mais nous n’avons pas dû l’utiliser. Quand je suis sorti du Centre, j’ai fait une demande de protection internationale. Après cela, il y a eu des confusions de l’Office des étrangers parce que les dossiers n’étaient pas à jour. Au bout du compte, j’ai été convoqué au CGRA (9) le 31 janvier 2019. Accompagné de mon avocat, j’ai dû expliquer pourquoi j’avais quitté la Guinée Conakry. Huit mois après, on a refait, exactement, la même chose avec mon avocat… Pourquoi est-ce que j’avais quitté mon pays…

Aujourd’hui, j’attends toujours la réponse… Est-ce que je peux rester en Belgique ou pas… J’ai suivi des cours de français, de néerlandais, d’intégration… Je fais du foot, je fais mon Service Citoyen (10), j’apporte mon aide dans un service d’accueil pour les personnes âgées. Je remercie ma famille qui m’a accueilli, mon avocat et les avocats qui défendent les droits humains, les associations d’hébergement et les citoyens belges.

 (1) La Guinée ou Guinée-Conakry est une république de l’Afrique de l’Ouest. Un tout petit peu plus peuplée que la Belgique, la Guinée est une ancienne colonie française. Selon la Banque Mondiale, le chômage touche 80 % des jeunes et un peu plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Elle est le 24ème pays le plus pauvre du monde. Dans son dernier rapport sur la Guinée, Amnesty International dénonçait “Cette année encore, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive contre des manifestants. Des journalistes, des défenseurs des droits humains et d’autres personnes qui s’étaient exprimées contre le gouvernement ont été arrêtés arbitrairement. L’impunité demeurait monnaie courante. Le droit à un logement convenable n’était pas respecté.

 

(2) Alfa Condé est Président depuis le 21 décembre 2010. Il est, et cela a son importance, de l’ethnie Malinké. Elle représente 30% de la population guinéenne.


(3) Plusieurs ethnies peuplent la Guinée, les Peuls sont les plus nombreux. Sous le régime de Sekou Touré, (lui aussi Malinké) et premier président du pays de 1958 à 1984, un million de Peuls fuirent la Guinée.


(4) Depuis 2017, le Parc Maximilien, situé près de la Gare du Nord, à Bruxelles, est le point de ralliement des réfugiés. 
La Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés y travaille dans le Parc Maximilien et ailleurs. Avec plusieurs centaines voire milliers de personnes pour leur proposer un accueil, des services, les aider à régulariser leur situation.


(5) La Direction Générale de l’Office des étrangers est compétente pour l’accès du territoire belge aux étrangers. Ses bureaux sont à côté du Parc Maximilien.


(6) Fedasil : derrière l’acronyme : l’Agence Fédérale pour l’Accueil des demandeurs d’Asile). Si le nom semble plutôt positif, c’est un peu plus complexe que cela. Son précédent ministre responsable était Theo Franken, qui a plusieurs reprises a défendu des positions douteuses voire racistes par rapport aux réfugiés. Il a aussi tout fait pour que la Belgique soit la moins accueillante possible et ce, à l’inverse des conventions internationales. Des centres Fedasil existent un peu partout en Belgique. Ce sont des endroits, parfois des anciennes casernes, où les réfugiés sont accueillis et aidés dans leurs différentes démarches.


(7) La Porte d’Ulysse est le centre d’hébergement de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés.

 

(8) Le Centre fermé 127 bis n’est pas une prison. Les personnes qui y sont enfermées n’ont pas commis de délits. Elles sont là suite à une mesure de l’administration en attente d’une expulsion du territoire.


(9) Le
CGRA, c’est le Commissariat Général aux Réfugiés et aux apatrides. Sa fonction “Octroyer et délivrer des documents aux hommes, aux femmes et aux enfants qui fuient la persécution, la guerre ou la violence.

 

(10) Le Service Citoyen permet aux jeunes de 18 à 25 de s’impliquer, très concrètement, dans une association et de vivre une expérience à la fois enrichissante, constructive et valorisante. Il permet aussi de prendre un temps de réflexion pour soi avant de mieux (re)bondir.

Auteur : Mamadou, 19 ans

Cet article a été produit lors d’un atelier Scan-R

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Mineure, en Belgique pour échapper à un mariage forcé.

Mineure, en Belgique pour échapper à un mariage forcé.

Rabiatou habite dans un centre d’accueil pour réfugié·es à Bruxelles. Avec une septantaine d’autres femmes ou jeunes femmes – ainsi que quelques bébés et enfants – elle est demandeuse d’asile (1). Elle attend que sa situation soit régularisée, autrement dit, elle espère obtenir le statut de réfugiée (2).

Ma famille est tout pour moi. Ma mère et ma grand-mère sont toujours en vie. J’ai quatre frères et deux sœurs. Mon père,… Je ne le connais pas. Ils habitent tous en Somalie (3) et moi, je suis ici, à Bruxelles, dans le centre d’accueil d’accueil pour demandeurs d’asile. Je voudrais, aussi vite que possible, que tout le monde me rejoigne ici mais c’est très, très compliqué. C’est plutôt un rêve…

Quand j’ai quitté la Somalie, je ne savais pas du tout dans quel pays j’allais débarquer. Si je suis arrivée en Belgique, c’est pour échapper à un mariage forcé. Ce n’était pas possible de refuser ce mariage. On ne peut pas refuser un mariage avec un djihadiste, on n’a pas d’autre choix que fuir ou subir. Toute la famille s’est donc cotisée et on a réussi à récolter 10 000 dollars qui m’ont permis de partir.

Je suis ici depuis quelques mois, j’ai un dossier en cours qui me permettra, je l’espère, d’obtenir le statut de réfugiée. Pour le moment, si j’arrive à ne pas penser à ma famille qui est toujours en Somalie, ça se passe bien pour moi. Mes journées sont celles de tout le monde, je vais à l’école et j’apprends tout doucement le français.

(1) Demandeur d’asile : personne qui a fui son pays parce que sa vie était menacée et qui ne veut pas y retourner.
(2) Réfugié : après enquête sur le terrain, le demandeur d’asile peut obtenir le statut de réfugié. Tant que la situation du pays ne change pas, la personne ne peut être renvoyée vers son pays d’origine. Le statut est de réfugié est valable 5 ans. S’il n’est pas retiré à la personne, le droit de séjourner en Belgique pour la personne est définitivement acquis. Une brochure du ciré est disponible pour en savoir plus sur le sujet.
(3) La République Fédérale Somalie constitue une large partie de la Corne de l’Afrique. Depuis qu’il a accédé à son indépendance en 1960, le pays est traversé par des guerres claniques. La Somalie a connu de terribles famines, en 1991-92 (300 000 morts), en 2011 (29 000 morts). Aujourd’hui encore l’équilibre du pays est plus que précaire. Depuis 2006, le pays souffre d’une guerre civile à laquelle mêlant les troupes régulières, divers groupes d’islamistes radicaux et différents clans.

Auteure : Rabiatou, Bruxelles, 17 ans

Cet article a été produit lors d’un atelier Scan-R dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile.

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Africain en Belgique

Africain en Belgique

Africain en Belgique

Il y a six ans, Wilfried a quitté le Cameroun. Il est venu en Belgique pour rejoindre sa mère. Elle est arrivée en Europe, avant lui, pour sortir de la misère et trouver un meilleur avenir. Wilfried, 16 ans aujourd’hui, se sent chargé d’une mission : s’occuper de ceux qui sont restés au pays. C’est ce qui l’aide au quotidien pour passer au-dessus du racisme, des discriminations.

Être Africain au sein d’un pays qu’on rejoint, c’est parfois difficile… Le regard des gens et sur les choses, sur presque toutes les choses, est différent. Cela fait six ans que j’ai quitté le Cameroun pour rejoindre ma mère en Belgique. Je sais de quoi je parle. Quand je sors dans la rue, ici, la majorité des adultes, blancs, m’observent avec un regard hautain même dans le monde du travail. C’est très frustrant. Tu peux en effet avoir toute l’expérience nécessaire ainsi que les qualifications et les diplômes requis, ta couleur de peau sera prise en considération dans l’attribution d’un emploi. J’ai 16 ans, je ne travaille pas, mais j’ai déjà tout compris.

RETOURNE DANS TON PAYS

Récemment, dans un magasin, on a fait l’objet d’une critique raciste de la part d’une personne âgée qui voulait nous dépasser à la caisse. En fait, mon père n’a pas accepté de se faire dépasser et le monsieur lui a simplement rétorqué que s’il n’était pas content, il n’avait qu’à rentrer chez lui, en Afrique quoi ! En gros, j’ai compris qu’on n’était pas, toujours, les bienvenus ici.

Depuis que j’habite en Belgique, ces situations se répètent régulièrement. Heureusement, tout le monde n’est pas comme cela. J’ai aussi réussi à m’adapter, prendre ma place et à m’intégrer. Même si le mot intégrer est souvent synonyme d’accepter les insultes de l’autre sans rien dire.

LE CACHOT OU LES MOTS

Quoi qu’il en soit, je suis bien ici et j’ai des potes. Je dois prendre parfois sur moi mais j’avance. Je fais ma route. Je ne veux surtout pas porter la cause des Noirs, changer la société. Je trouve que la vie est parfois assez compliquée comme ça. C’est possible d’enlever les préjugés chez les gens mais cela demande du temps. Répliquer, être violent, cela ne sert à rien et cela peut se retourner contre nous. Par exemple, si on te traite de « sale Noir », et puis que tu frappes la personne, c’est direct la police ! Je préfère user des mots, sortir de bons arguments et passer à autre chose.

D’AILLEURS ET ICI, D’ICI ET AILLEURS

Franchement, je ne vois rien de positif à être Africain en Belgique. Je suis très fier, très heureux de ma culture, de mes origines, de ce que nous ont laissé nos ancêtres : la langue, la musique, la terre… Je pense d’ailleurs que le Cameroun est l’un des pays les plus actifs au monde au niveau agricole.On ne va pas se mentir, les Africains viennent en Europe pour sortir de la misère et avoir un meilleur avenir et pour s’occuper de ceux qui sont là-bas. Je dois donc assurer. C’est ma motivation pour passer au-dessus du racisme et des discriminations.

À ceux qui sont restés au pays, on ne se vante pas trop de ces histoires-là mais on ne se cache pas non plus. On se dit les choses : nous exprimons la répression, les discriminations et le racisme que nous vivons parfois. Ils nous soutiennent. Ils disent de prendre sur nous. On nous dit de faire le taf et de revenir au pays, si l’on veut, à la retraite. On n’a de toute façon pas d’autres choix. On ne peut pas revenir au pays avant d’avoir ramené de l’argent. Ce serait synonyme d’échec alors qu’en Europe, à leurs yeux, on avait toutes les cartes en mains.

Pour ma part, je rentrerai peut-être au pays plus tard. A 18 ans, je devrai travailler. Serais-je venu si j’avais vraiment eu le choix ? Je ne sais pas. Je pense qu’on peut se construire un bon avenir ici comme là-bas. C’est une question de volonté même si la pauvreté, elle est plus grande au pays.

Auteur : Wilfried, Braine-le-Château, 16 ans

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