Ce titre, citation de Victor Hugo(1), c’est celui qu’a choisi Gwendoline pour nous proposer un témoignage, un article, qui touche à une question essentielle, celle de la liberté. Ces derniers jours, cette notion ô combien naturelle, a reçu une nouvelle définition…
Prisonnière ?
Il aura fallu attendre mes 24 ans pour que je ressente, dans mes entrailles, cette crainte que beaucoup ont déjà dû ressentir au quotidien. À l’heure où j’écris, je suis vraiment inquiète quand mon regard se tourne vers l’horizon. Je n’ai jamais senti l’avenir aussi incertain ; il devient, à mesure que les jours passent, davantage insaisissable et incontrôlable. J’ai l’impression qu’il se dérobe sous mes pieds. Aujourd’hui, j’écris non pas par peur de la maladie – bien que son avancée et sa dangerosité ne soient pas des réalités qui fassent douter – mais parce que j’ai, plus que jamais, peur pour mes libertés. Et que je ne me suis jamais sentie aussi impuissante. C’est un combat auquel je suis livrée et dont le sort ne sera scellé par moi. Quelles que soient mes actions, l’issue sera ce qu’elle sera, et cette fatalité me pèse, je peine à m’y résoudre. Moi qui hais tant déterminisme et fatalité. Moi qui prône tant le libre-arbitre et les capacités individuelles.
Fins ?
Aujourd’hui, j’ai peur parce que je ne reconnais plus le monde, ni même les gens qui m’entourent. J’ai peur qu’ils changent quand ils craignent pour leur confort. Ils en reviennent à des comportements primaires, bestiaux. Ils ne réfléchissent plus, deviennent irrationnels. Ils en perdraient toute morale, toute éthique, ils iraient jusqu’à dénoncer leur voisin, leur frère ou leur ami. J’ai peur de voir que la société, ma société puisque j’en fais partie, les y encouragerait presque. J’ai peur car on m’enlève mes repères, on m’ôte peu à peu quelque chose qui me semblait pourtant acquis ; ma liberté, mes libertés… Liberté de rassemblement, de déplacement, et même d’expression si l’on considère que l’autocensure sociale en fait partie. Je ne cherche en rien à polémiquer sur le bien fondé de ces mesures qui n’étaient faciles pour personne.
Nous ? Moi ?
L’urgence sanitaire est là, et des solutions sont à chercher. Un chaos est à éviter. Il le faut. Mais je me pose tout de même la question de savoir jusqu’où est-ce que l’on peut dire de ces mesures – et celles à venir – qu’elles sont acceptables. Ainsi, le sacrifice de nos valeurs les plus fondamentales serait nécessaire pour un bien-être collectif. Ce serait donc un moindre mal. Mais quelle est la délimitation entre les deux ? À partir de quand peut-on estimer que le bien-être collectif prime sur ces individualités ? Comme dit la citation, “La liberté des uns s’arrête là où commence celles des autres”. Oui, mais justement. La frontière est mince. Trop peut-être ? Et puis surtout, comment en est-on arrivés à imposer ces mesures aussi largement ? Contrôler de manière tout à fait arbitraire les motifs de déplacement de chacun ? L’homme n’est-il donc plus capable de décider pour lui-même ? De faire ses choix et d’en assumer les conséquences personnellement ?
À côté de ces questions, je fais l’amer constat des doutes et des incertitudes que ces mesures sèment derrière elles. Qu’a-t-on encore le droit de faire et qu’a-t-on le devoir de ne plus faire ? Cette zone floue, car trop vide de réponses, me laisse à penser que nous nageons en eaux troubles, et cela ne présage rien de bon. C’est, selon moi, le plus grand danger qui gravite autour de cette situation. Ces zones floues qui peuvent vite laisser la porte ouverte aux dérives et abus d’un appareil étatique qui se met subitement à sanctionner, parfois même violemment, des personnes déjà désarçonnées par un ensemble d’évènements qui les dépassent. Contrôler, toujours plus, au détriment de nos espaces personnels, au détriment de nos données personnelles aussi.
Jusqu’où ?
Hommes et femmes politiques, j’en appelle à davantage de clarté quant à nos restrictions de liberté. Vous comblerez ainsi ces parts d’ombre qui rendent opaques nos droits quotidiens. Jusqu’où peut-on se déplacer ? Dans quelle mesure doit-on craindre des sanctions ? Pourrions-nous au moins avoir des chiffres, des données précises et quantifiables ? “Ne pas se déplacer à autant de kilomètres de son domicile”, par exemple. Car, pour moi, dire que l’on ne peut “se rendre une journée dans les Ardennes ou à la mer”, c’est bien trop vague, et cela crée de l’incertitude (2) ! Celui qui habitait à quelques kilomètres de là pourrait considérer – à juste titre – cela comme une simple promenade de santé. Accompagner de plus de précisions ces directives d’un genre nouveau, cela paraîtrait, certes, dur, mais cela serait tout de même nettement plus transparent et juste pour les citoyens. Et cela laisserait moins de place aux interprétations hâtives. Aussi, j’en appelle à ce que vous usiez avec sagesse, en bons pères de famille de vos énormes prérogatives « temporaires » qui empiètent sur nos libertés individuelles. Usez à bon escient de ces dérogations d’autorité qui vous donnent accès au contrôle de la sacro-sainte liberté d’aucuns.(3)
La liberté s’en va au galop
Enfin, à tous ceux qui me lisent, n’oubliez pas que si nous n’avons jamais dû nous battre pour nos libertés, c’est que nos ancêtres l’avaient déjà fait pour nous. Mais regardez donc plus loin, voyez, ailleurs, comme c’est en laissant quelques bouts de celle-ci qu’on finit par y renoncer totalement. Or il n’y a pas de demi liberté ; soit on est libre, soit on ne l’est pas. Et n’oublions pas que, comme disait Jean-Jacques Rousseau (4) “renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs”.
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