Aujourd’hui Mamadou a 19 ans. Il est venu de très loin pour enfin arriver en Belgique et il n’est pas dit qu’il pourra y rester. Le 19 octobre, à Namur, avec l’aide d’une autre jeune, il a raconté son parcours depuis la Guinée Conakry jusqu’à Bruxelles. Il nous explique les étapes de ses pérégrinations vers un monde qu’il espère humain.

En février 2017, il y a eu à Conakry, en Guinée(1), plusieurs manifestations pour l’enseignement. Enseignants, syndicats et des élèves exigeaient de meilleures conditions de travail. Si l’accord a finalement été conclu, cela n’a pas été sans violences. Il y a eu cinq morts, quatre hommes, une femme. Mon grand frère participait à cette manifestation. Les policiers étaient là pour nous tabasser tout en disant que c’était nous qui provoquions leur violence…

Depuis son arrivée au pouvoir, en 2010, le Président Alfa Condé (2), a créé des conflits entre les différentes ethnies de Guinée Conakry. Il dit, par exemple, que les Peuls (3), nous sommes des étrangers et nous ne sommes pas dans notre pays. C’est pourquoi, lors des manifestations, les policiers s’attaquent à nous : le gouvernement les encourage à le faire. Toujours lors de cette journée, ils ont saccagé tous les magasins qui se trouvaient au bord de la route. Lorsqu’ils eurent terminé, tout le monde était en colère. Mon père a discuté avec eux. Il a expliqué qu’il porterait plainte. Il a dit qu’il avait besoin de ce magasin pour nourrir sa famille. Les policiers ont répondu qu’ils s’occuperaient de lui avant qu’il ne porte plainte. Mon père leur a dit que c’était à eux de nous protéger mais qu’à la place. Ils nous persécutaient et nous violentaient.

Mon grand frère lui a dit qu’il fallait se clamer, qu’il n’y avait pas de justice… Un policier à ajouté… “Ce n’est pas parce qu’on vous laisse manifester que vous pouvez faire tout ce que vous voulez…” Un de ses collègues a rajouté… “Laisse, on va s’occuper de lui” Ils sont remontés dans leurs 4×4 et ils sont partis. Après, mon grand frère a dit qu’on devait rentrer chez nous. Quand nous sommes rentrés, mon grand frère a cuisiné, on a mangé et on est resté dans le salon jusqu’à 23 h. Mon père a refusé de manger, il était trop en colère. À 23 h 30, nous sommes partis nous coucher.

Un peu plus tard, pendant la nuit, on a entendu un bruit… On s’est dit que ça venait de plus loin… Nous ne pensions pas que les policiers étaient dans la maison… Après, on a entendu un coup de feu. Mon grand frère m’a attrapé et nous nous sommes cachés derrière la maison. On a entendu “Il faut aller voir dans l’autre chambre si les enfants sont là-bas…” 

La fuite 

À la gare, on a rencontré un monsieur qui nous a amenés chez lui. Il nous a dit qu’il allait nous aider, nous faire sortir de Guinée, pour notre sécurité. J’ai demandé à mon frère si on pouvait faire confiance à ce monsieur. Il m’a répondu que, le plus important c’était de sauver notre vie. Comme c’est lui, grand frère, je l’ai écouté…

Malgré tout, nous sommes allés nous coucher. Réveillés à 5 h du matin, le monsieur nous a embarqués dans sa voiture et il nous a amenés au Mali. Là, on a pris un bus pour la frontière entre l’Algérie et le Niger. Nous sommes restés six jours en Algérie après, nous sommes arrivés en Libye… Et on a été directement en prison… Les chauffeurs ont dit aux gardiens que nous n’avions pas payé notre transport… 

Mon grand frère a dit que non, mais les chauffeurs avaient dit qu’ils allaient nous aider mais en vrai, ils nous ont vendus et nous, évidemment, nous n’en savions rien. Pour sortir, il fallait payer… On a reçu un téléphone pour appeler en Guinée afin de demander de l’argent qui permettrait de nous faire sortir. “Tant que vous n’aurez pas payé, vous ne sortirez pas.” Après cela arrivèrent les coups… Pendant trois mois, on s’est fait frapper par les gardiens.

Sauvés ?

Un matin, un homme est venu demander des hommes pour travailler. Il a choisi mon grand frère et il lui a proposé de choisir quelqu’un pour travailler avec lui. Mon grand frère ne voulait travailler qu’avec moi. Je suis donc parti avec lui et pendant des heures, on a travaillé dans les champs. Quand le travail fut terminé, le monsieur nous a donné de l’argent. Mon grand frère l’a refusé… Ce qu’on voulait c’était de l’aide pour sortir de là. Le monsieur était d’accord de prendre des risques pour nous aider… Il nous emmène chez lui, nous donne de l’eau, à manger, on se lave… Il nous promet un endroit où nous ne serons pas maltraités, pas insultés, pas frappés, un endroit où personne ne nous fera du mal.

Après avoir fini de manger, on va se coucher jusqu’à 23h et là, il nous réveille mon frère et moi. Après que nos yeux aient été bandés, on monte dans la camionnette qui était devant chez lui. On a été débarqué au bord de la mer et on est rentré dans la file pour monter un à un dans les bateaux. Il y avait beaucoup de monde…

Tout seul

Je suis monté dans le bateau. Après moi, il n’y avait plus aucune place. Mon frère devrait en prendre un autre. C’était la nuit, c’était la première fois que je montais dans un bateau… et c’est comme ça que j’ai perdu mon frère. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas si mon frère est monté dans un bateau ou pas.

De là, je suis arrivé en Italie, à Palerme, en Sicile. On nous a accueillis et on nous a mis dans un centre. Quelquefois, de nouvelles personnes arrivaient mais mon frère, toujours pas. Je suis resté 9 mois dans ce centre à l’espérer. J’ai posé des questions partout mais je n’ai aucune nouvelle.

Le Parc Maximilien

J’ai quitté l’Italie avec un Sénégalais. C’est avec lui que je suis arrivé en Belgique via la gare de Bruxelles-Midi. Il est parti chercher quelque chose à manger mais il n’est jamais revenu… J’ai rencontré un monsieur qui m’a dit d’aller au Parc Maximilien (4). J’y suis allé. Je suis arrivé le samedi 20 janvier et j’y suis resté jusqu’au mardi 23. C’est ce jour-là que j’ai fait ma demande d’asile. L’Office des étrangers (5) m’a donné l’adresse d’un Centre Fedasil (6). J’y suis allé mais je n’ai pas pu y rentrer parce que je n’avais pas fait de visite médicale. Je suis donc retourné au Parc Maximilien. De là, je suis reparti à la Porte d’Ulysse (7). Le mercredi 24, je suis retourné à l’Office des étrangers et j’ai expliqué que je n’avais pas pu rentrer faute de visite médicale. Je suis donc allé faire une visite médicale et suis retourné au Centre Fedasil. Là, nouvelle surprise, je n’avais pas été enregistré à l’Office des étrangers… Une assistante sociale m’a renvoyé là-bas. Je suis retourné au Parc Maximilien… Un chauffeur m’a ramené à la Porte d’Ulysse, j’y ai passé la nuit. Le jeudi matin, on m’a ramené au Parc et j’y ai passé la journée, ne sachant pas trop ce que je pouvais faire.

Une nouvelle famille

Le jeudi soir, j’ai rencontré ma famille d’accueil qui m’a hébergé qui m’a trouvé un avocat pour défendre mon dossier. Dans la famille, il y a Carmen, qui a le même nom que ma grand-mère et Nicolas. Le 14 février, j’ai été convoqué à l’Office des étrangers. Quand j’y vais, on me donne une nouvelle date pour un autre rendez-vous… Le prochain rendez-vous était pour juillet. Quand je m’y suis rendu, j’ai été conduit au Centre fermé 127 bis (8). Ils m’ont dit qu’on allait me ramener en Italie, le pays par lequel je suis arrivé en Europe… Avec mon avocat, on a fait un premier recours que nous avons perdu… On en a fait un deuxième qu’on a gagné mais cette décision n’a pas été acceptée par les autorités qui, à leur tour, ont fait appel… Au bout du compte, la justice m’a donné raison.

En attendant, j’étais toujours au Centre 127 bis… La famille qui m’accueillait a fait signer une pétition qui a reçu 6347 signatures mais nous n’avons pas dû l’utiliser. Quand je suis sorti du Centre, j’ai fait une demande de protection internationale. Après cela, il y a eu des confusions de l’Office des étrangers parce que les dossiers n’étaient pas à jour. Au bout du compte, j’ai été convoqué au CGRA (9) le 31 janvier 2019. Accompagné de mon avocat, j’ai dû expliquer pourquoi j’avais quitté la Guinée Conakry. Huit mois après, on a refait, exactement, la même chose avec mon avocat… Pourquoi est-ce que j’avais quitté mon pays…

Aujourd’hui, j’attends toujours la réponse… Est-ce que je peux rester en Belgique ou pas… J’ai suivi des cours de français, de néerlandais, d’intégration… Je fais du foot, je fais mon Service Citoyen (10), j’apporte mon aide dans un service d’accueil pour les personnes âgées. Je remercie ma famille qui m’a accueilli, mon avocat et les avocats qui défendent les droits humains, les associations d’hébergement et les citoyens belges.

 (1) La Guinée ou Guinée-Conakry est une république de l’Afrique de l’Ouest. Un tout petit peu plus peuplée que la Belgique, la Guinée est une ancienne colonie française. Selon la Banque Mondiale, le chômage touche 80 % des jeunes et un peu plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Elle est le 24ème pays le plus pauvre du monde. Dans son dernier rapport sur la Guinée, Amnesty International dénonçait “Cette année encore, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive contre des manifestants. Des journalistes, des défenseurs des droits humains et d’autres personnes qui s’étaient exprimées contre le gouvernement ont été arrêtés arbitrairement. L’impunité demeurait monnaie courante. Le droit à un logement convenable n’était pas respecté.

 

(2) Alfa Condé est Président depuis le 21 décembre 2010. Il est, et cela a son importance, de l’ethnie Malinké. Elle représente 30% de la population guinéenne.


(3) Plusieurs ethnies peuplent la Guinée, les Peuls sont les plus nombreux. Sous le régime de Sekou Touré, (lui aussi Malinké) et premier président du pays de 1958 à 1984, un million de Peuls fuirent la Guinée.


(4) Depuis 2017, le Parc Maximilien, situé près de la Gare du Nord, à Bruxelles, est le point de ralliement des réfugiés. 
La Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés y travaille dans le Parc Maximilien et ailleurs. Avec plusieurs centaines voire milliers de personnes pour leur proposer un accueil, des services, les aider à régulariser leur situation.


(5) La Direction Générale de l’Office des étrangers est compétente pour l’accès du territoire belge aux étrangers. Ses bureaux sont à côté du Parc Maximilien.


(6) Fedasil : derrière l’acronyme : l’Agence Fédérale pour l’Accueil des demandeurs d’Asile). Si le nom semble plutôt positif, c’est un peu plus complexe que cela. Son précédent ministre responsable était Theo Franken, qui a plusieurs reprises a défendu des positions douteuses voire racistes par rapport aux réfugiés. Il a aussi tout fait pour que la Belgique soit la moins accueillante possible et ce, à l’inverse des conventions internationales. Des centres Fedasil existent un peu partout en Belgique. Ce sont des endroits, parfois des anciennes casernes, où les réfugiés sont accueillis et aidés dans leurs différentes démarches.


(7) La Porte d’Ulysse est le centre d’hébergement de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés.

 

(8) Le Centre fermé 127 bis n’est pas une prison. Les personnes qui y sont enfermées n’ont pas commis de délits. Elles sont là suite à une mesure de l’administration en attente d’une expulsion du territoire.


(9) Le
CGRA, c’est le Commissariat Général aux Réfugiés et aux apatrides. Sa fonction “Octroyer et délivrer des documents aux hommes, aux femmes et aux enfants qui fuient la persécution, la guerre ou la violence.

 

(10) Le Service Citoyen permet aux jeunes de 18 à 25 de s’impliquer, très concrètement, dans une association et de vivre une expérience à la fois enrichissante, constructive et valorisante. Il permet aussi de prendre un temps de réflexion pour soi avant de mieux (re)bondir.

Auteur : Mamadou, 19 ans

Cet article a été produit lors d’un atelier Scan-R

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