Léa est à l’hôpital
Durant plusieurs jours, Scan-R a installé sa rédaction dans une unité pédopsychiatrique bruxelloise. Ce service hospitalise de jeunes adolescent·e·s – âgé·e·s de 8 à 14 ans – qui présentent une souffrance psychopathologique importante qui dépasse les compétences d’un service ambulatoire. La concentration et le moral de ces ados ne sont pas toujours au rendez-vous de nos rencontres et écrire en « je » est pour elles et eux un véritable défi.
Mon univers
Je m’appelle Léa, j’ai 14 ans. Ici, je connais des hauts et des bas mais mon récit me montre que chaque jour, j’avance un peu plus. Mon endroit à moi, c’est ma chambre. Elle est grande. J’ai une colocataire prénommée Karolina, elle est géniale. Nos murs sont bleus clairs avec quelques motifs, des ronds et des triangles, qui font penser à des montagnes. Nous avons des lits en bois avec un sommier de lattes métalliques qui font un peu mal au dos, le matelas n’est pas très épais. Quel dommage : il ne rebondit pas ! J’ai des draps colorés ; ma couette est rougeâtre, orange et jaune, mon matelas est mauve. J’ai des étagères où j’y range mes pulls, livres et pantins de bois, que j’utilise quand je dessine ou encore pour peindre. J’ai aussi Ursule : une plante grasse. Très mignon ce prénom pour une plante, n’est-ce pas ? Mon côté de la chambre n’est pas très coloré. Ce qui contraste avec celui de ma coloc’ qui, pour le coup, est très créatif et respire la joie. À côté de son lit se trouve un poster d’éléphanteau. Elle a beaucoup d’affaires : photos, lettres, jeux de société, vêtements, … Et surtout, elle a beaucoup de produits de beauté. C’est une grande fan d’Yves Rocher ! Pour en revenir à mon côté, il n’est peut-être pas aussi joyeux que celui de ma copine, mais il me convient bien. Finalement, on partage la même chambre !
La journée
Le matin, quand je me lève, Karolina fait des étirements et puis, on commence la journée. On se prépare, on se maquille. Elle met mon mascara et me regarde faire mes traits d’eye-liner. On va manger, je vois tout le monde à table. Il y a des motivé·e·s pour commencer la journée et d’autres qui le sont moins. Mais tous gardent le sourire. Les activités commencent : les cours, les entretiens, … Le soir, il y en a qui regardent un film et d’autres, dont moi, qui préfèrent parler. On s’exprime et on rigole, de ce qu’on se dit ou de ce qu’on a aperçu pendant la journée. Puis on va dans nos chambres, on parle encore un petit peu – en cachette – avant de dormir. Quelle joie de voir tout ce monde de bonne humeur ! Je déprimerais si je ne voyais pas ces sourires contagieux à longueur de journée.
Mes ami·e·s
Je suis amie avec presque tout le monde ici. On n’est pas forcément très proches, mais ensemble, on rigole tous bien, on parle de tout, de rien. J’ai aussi quatre ami·e·s à l’extérieur de l’hôpital. Je suis plus proche et je m’entends mieux avec deux d’entre-eux, on se comprend plus. La différence entre eux, elles et les jeunes de l’hôpital c’est le fait que je suis plus proche de mes ami·e·s à l’extérieur et que mes ami·e·s sont peut-être parfois plus joyeux, enjouées ou plus faciles à vivre que les enfants d’ici. Puis, forcément, je connais mes ami·e·s de l’extérieur depuis plus longtemps que ceux et celles d’ ici.
Ma vie à l’hôpital
Mon moment préféré ici a duré deux jours… Un week-end, pour être exacte. Beaucoup de jeunes étaient parti·e·s chez leurs parents ou ailleurs, mais moi, je suis restée ici avec un garçon qui, maintenant, est parti. On s’entendait bien et on a beaucoup rigolé : on a fait une mini bataille d’eau, une bataille de balles de kicker, … On discutait aussi. Je lui ai mis du vernis, il n’a pas apprécié et l’a enlevé. On a fait deux puzzles aussi, un de 500 pièces avec une stagiaire et un autre de 100 pièces, qu’on a fait à deux. Bref, ce sont les seuls moments où j’ai eu des fous rires à l’hôpital. Le moment que j’ai le plus détesté ici… Il y en a plusieurs, mais c’est tous les entretiens et toutes les nuits. Je n’aime pas les entretiens et ils me rendent toujours d’humeur négative car je n’aime pas parler de mes problèmes. Quant aux nuits, je n’ai pas envie de rentrer dans les détails mais je suis insomniaque, et je vois, entends ou ressens des choses que personne d’autre de « normal » ne peut voir, entendre ou ressentir.
Ce qui me manque
Du dehors de l’hôpital, ce qui me manque le plus, ce sont les sorties ou les journées à ne rien faire. J’aimais voir mes ami·e·s, les petites soirées organisées chez eux ou chez moi, les sorties shopping ou autre à Bruxelles. Sortir de chez moi est une habitude importante pour moi : cela me permet de me changer les idées. J’aimais aussi rester chez moi à ne rien faire de particulier, je m’habillais ou restais en pyjama. Je m’occupais en dessinant ou peignant ou je restais sur mon téléphone. Le soir quand j’étais chez mon père, je restais avec lui dans le salon et on regardait des films en mangeant – pas très sainement – jusqu’à tard. Ce n’était pas comme ça tous les soirs bien entendu, mais quand ça se passait c’était vraiment cool. Que cela fait du bien d’être au calme chez soi !
Ma fierté
Ce qui me rend le plus fière, c’est d’avoir été là pour mon père et mes ami·e·s. Après le départ de ma mère, mon père est tombé en dépression et j’étais la seule personne sur qui il pouvait compter, la seule à qui il pouvait se confier car nous étions en plein confinement, il ne pouvait voir personne d’autre. J’étais là pour lui remonter le moral. J’étais là aussi pour mes ami·e·s qui sombraient en dépression. J’étais là pour mon amie et je l’ai empêchée de se faire du mal. J’étais là pour mon ami qui part en vrille foutant sa santé en l’air, buvant et fumant presque tous les jours mais tient beaucoup à moi. Le fait que je sois présente pour lui l’aide. Il sait que je suis là s’il veut se confier ou tout autre chose. Je l’aide comme je peux, je l’incite à parler de son mal-être à des adultes, de son mal-être. Je suis persuadée que bientôt, il ira mieux. Je suis fière d’avoir été là et d’être toujours là pour eux, pour elles, c’est la meilleure chose que j’aie pu faire depuis ma naissance.
Mon secret
À part avec ma famille et mes ami·e·s, je ne parle à personne du fait que je suis ici. Elles et ils ne m’ont pas prise pour une folle ou quoi que ce soit. Non, tout le monde a été compréhensif. Je ne l’ai pas dit à ma classe par exemple car les élèves me prendraient pour une dingue, avec tous les stéréotypes de l’hôpital psychiatrique. Ils jugeront le fait que je ne rentre pas dans la case de l’adolescente normale qui se préoccupe de sa popularité … Je crois que les gens n’aiment pas ce qui est bordélique.
Auteure : Léa, 14 ans, Bruxelles
Cet article a été écrit lors d’un atelier Scan-R
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