Regards croisés sur l’emprisonnement
Au mois de juin, une équipe de Scan-R s’est rendue à Institution Publique pour la Protection de la Jeunesse (1) de Saint-Hubert. Elle y a rencontré une dizaine de jeunes dont les témoignages seront publiés dans les jours et semaines à venir. Voici les premiers témoignages de Karim et Frank. Pendant une petite heure, ils ont parlé de leur enfermement, de comment ils se sentaient traités, de ce qu’ils espéraient pour la suite.
Frank (FR) : De la cour, on ne voit rien. Des grillages et des barbelés. Le haut des arbres, mais c’est tout. Le tronc ? On ne le voit même pas. De ma chambre, je vois la même chose : le grillage, quelques brins d’herbe, c’est tout.
Karim (KA) : De ma chambre à la maison, je vois la ville, ma ville, toute ma ville. Mon quartier. Les bâtiments, l’eau, les maisons qui s’étirent à l’horizon. Ici, rien.
FR : Vu de ma fenêtre, à la maison, je vois les voisins, la vie, la liberté. Ici, je vois deux poules. Rien de passionnant. Pourtant, elles, elles marchent comme elles veulent. Parfois le chat noir passe et il reste là. Il ne bouge pas, il ne sort pas. On dirait qu’il a pris perpete. Pourquoi ce chat ne sort pas alors qu’il pourrait ? Nous, on ne peut pas.
KA : Chats et poules n’ont pas de règles. Nous, nous n’avons que cela… Interdiction de parler dans les rangs. Quand on bouge, c’est toujours tous ensemble, en « mouvement (2) ». C’est normal qu’il y ait des règles. C’est normal d’être enfermé après avoir fait ce qu’on a fait, mais certaines sont justes absurdes. Dès que tu sors de ta chambre, c’est silence complet. J’ai oublié ma bouteille d’eau et je veux la reprendre ? Impossible de poser la question avant d’être dehors ou à table… et après c’est trop tard, il faut attendre… « après, après », toujours attendre…
FR : La règle la plus absurde c’est la règle de la sauce. Impossible de se resservir. On peut se ne servir absolument qu’une seule fois. Pourquoi ? On ne sait pas.
KA : Quand 21h sonne, on est obligé de fermer les fenêtres. Ok c’est pour qu’on ne parle pas, ou éviter les tentatives d’évasion. Mais mieux vaut laisser des jeunes parler que des les laisser cuir dans leur chambre pendant la canicule non ? Ils n’ont pas confiance en nous.
FR : Les visites c’est plus une question de confiance…. C’est de l’ordre du manque de respect. On a aucune intimité. Chaque visite est accompagnée et on a droit à rien.
KA : Votre famille peux vous apporter certaines choses mais tout est quantifié. Les boissons, les chips, le chocolat… On peut en avoir une petite quantité, mais après deux jours, il y a plus rien. Les autres jeunes, les familles, plus les surveillants… bonjour l’inimité. On est une vingtaine dans une pièce, seuls quelques centimètres séparent les différents groupes. On entend tout ce que les autres disent. On voit tout ce que les autres font, et eux voient nos moindres faits et gestes. Super.
FR : C’est gênant. J’ai déjà dit « je t’aime » à ma mère, moi je m’en moque ça ne me pose pas de problème, j’assume. Mais pour certains, c’est compliqué de communiquer comme ça ses sentiments, limite en public…
KA : La fin des visites, c’est aussi impressionnant pour nos parents. On repart tous en rang, sans pouvoir parler, entouré de gros bras avec des talkie-walkie…
FR : Ils voient les barbelés, ils ont vu des reportages, ils s’inquiètent pour nous.
KA : Difficile aussi de les contacter par téléphone… On a droit à 3 appels de 10 minutes par semaine. Mais moi mes parents sont séparés. Alors je fais quoi : j’appelle deux fois ma mère et une fois mon père ? Pourquoi je devrais choisir ? Pas le temps de rien quoi que ce soit et en plus, si on doit tout diviser…
FR : Les appels, c’est notre fenêtre vers l’extérieur. Ça fait du bien. Mais quand on parle à nos parents, on ne raconte pas tout, sinon ça les inquièteraient.
KA : Si je suis sanctionné, hors de question que j’en parle à mes parents. Souvent je mens, pour ne pas les paniquer.
FR : Quand on appelle, contrairement aux visites suveillées, on peut au moins parler de tout si on veut… Mais pas trop fort sinon les autres nous entendent.
KA : Les autres peuvent parfois entendre nos conversations privées ave nos familles, alors qu’on ne peut même pas parler ensemble le reste du temps. Je ne peux pas raconter quelque chose de personnel à X, un éducateur ou un surveillant doit toujours être présent… Où est la logique ?
FR : Ici nous n’avons pas notre mot à dire, nous ne sommes jamais écouter.
KA : Les assistants sociaux font genre qu’ils sont ouverts, qu’ils écoutent… Mais en gros, c’est juste pour tout retranscrire dans un rapport. Eux aussi, ils sont contre nous. Ils doivent juste choisir si on peut retourner en famille, si on est replacé en IPPJ, en centre ouvert ou fermé (3), mais ça ne dépend pas de notre progression, juste de notre comportement envers eux. Peuvent-ils nous supporter ou non ? Ca change tout.
FR : Ils s’en foutent de nous. Ils nous traitent comme si on ne parlait pas la même langue. Comme si on était des animaux… avec encore moins de liberté qu’un vieux chat noir et deux poules.
(1) Selon la loi, une IPPJ est un centre fermé pour personne délinquante de moins de 18 ans. Tout en protégeant la population de ces jeunes, ces centres doivent permettre à leurs pensionnaires de se reconstruire, de se réinsérer dans la société, dans leur famille, dans leur école. La vision des jeunes qui y passent et parfois plusieurs mois et parfois plusieurs fois, n’est pas celle-là. Elles et ils y voient plutôt une prison.
(2) Mouvement, c’est le mot prononcé par les gardiens ou les éducateurs pour annoncer un déplacement.
(3) Une des différences entre les différents genres de centres porte sur la durée du séjour pour le ou la jeune qui y est hébergé·e.
Qu’est-ce que la Communauté germanophone ?
La photo qui illustre cet article a été prise à la prison de Mons.
Des détenues ont élaboré, avec l’artiste Olivier Sonck, toute une série de phrases qui garnissent de poésie l’enceinte de la prison. Pour en savoir plus, voyez ce lien.
Auteurs : KaRIM, 17 ans, Liège et Frank, 16 ans, Bruxelles
Cet article a été produit lors d’un atelier Scan-R À l’ippj de SAint-Hubert.
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