Art & requins
Après 6 longues années d’études à l’Académie des Beaux-Arts et 2 diplômes en poche, je ne peux que constater mon état mental en fermant les portes de l’établissement derrière moi.
Rancœur, sentiment de n’être nulle part, de ne rien savoir, d’être dans le mauvais. Je ne suis pas prête. Plus que tout, je ressens un dégoût profond envers l’art.
L’art qui résonnait en moi sans mots précis, aujourd’hui me perfore le crâne de sa prétention et du milieu dans lequel il nait.
Mais pourquoi ce sentiment est-il né en moi, à partir de quand ? Suis-je la seule dans le cas ?
Si je parlais de moi, de mon expérience, je serais tenace, amère. Si je parlais des autres je serais factuelle. Alors parlons d’abord de moi.
Je rentre à 18 ans dans une école qui n’est pas faite pour les gens qui recherche le savoir-faire, le comment. L’Académie cherche le pourquoi. Elle t’accueille dans une classe avec comme enseignant un artiste avec un grand A. Artiste enseignant qui selon moi joue le rôle d’un surveillant plus qu’un maître instructeur. Le recrutement se base sur 5 années d’expérience dans l’art. Pas sur un diplôme de pédagogie. Ce que l’Académie veut, ce sont des artistes à l’esprit critique. Et c’est selon moi la base fondamentalement branlante de cette école. Mettre entre les mains de personnes qui cherchent simplement un salaire à la fin du mois pour garder leur statut d’artiste, l’avenir de jeune en recherche et curieux, c’est selon moi, absurde.
A l’Académie, tu es libre, c’est bien, c’est beau. C’est pour ça que la plupart des gens choisissent cette école. Libre de faire tes erreurs, d’expérimenter. Tu es surtout libre du savoir des techniques. Celles-ci importent peu pour eux. Qu’une toile peinte à l’huile s’efface ou se craque dans 20 ans car celle-ci a mal été préparée ? Qu’importe si l’artiste s’est exprimé par expérimentation ! Au diable la technique, le savoir, on veut créer. C’est tout.
C’est le sentiment qui m’a frappé le plus après 6 ans. Je n’ai rien appris.
Pas de fil conducteur, pas de ligne directrice, rien. Des jurys ou ton art est lynché sur la place publique par des artistes qui n’ont jamais quitté Liège. Dans le but de voir ton caractère. Ils cherchent à ce qu’on réponde, qu’on se défende (mais pas trop quand même il ne faudrait pas leur manque de respect).
Alors où se place les sensibles ? Ceux-là mêmes qui ne savent s’exprimer que par ce média qu’est l’art ? Que font-il face à ce vaste monde, face à ces pourquoi, ces comment incessants ?
Ils s’écrasent. Ils se forcent. Pas de place pour ceux qui ne savent pas s’exprimer. Ils sortent de l’école abattus et perdus.
Pour revenir à des faits réels qui nécessiteraient que la ville mette des yeux dans son école je partirais d’un récit auquel j’ai eu la désagréable chance d’être témoin.
J’ai été très seule durant mes études, la peinture étant un milieu de requins apeurés par l’idée que les autres soient meilleures, la place aux dialogues et aux sympathies n’était donc pas de mise.
Malgré tout j’y ai rencontré Pauline (nom d’emprunt) atteinte d’autisme Asperger.
Pauline est une jeune fille passionnée et passionnante. Mais Pauline, dû à sa maladie, à énormément de mal avec l’expression de ses idées et le décodage du monde qui l’entoure.
Elle se confie, s’ouvre et trouve une manière de peindre qui lui permet de s’ouvrir au monde.
Seulement, elle n’est pas « faite » pour ce milieu.
Les faits se passent milieu d’année. C’est un mouton noir au seins des enseignants de la section peinture. Elle ne rentre pas dans les cases. Elle est vue comme têtue, subordonnée. Les réunions s’enchaînent, le sort s’acharne mais nous ne souhaitons pas parler d’acharnement, de tête de Turc, de favoritisme. Pourtant, 5 mois avant la fin de l’année le verdict tombe. « Quoi que tu fasses, sache que tu ne passeras pas ton année ».
Le mot est dit. Elle est dans l’impossibilité de réussir son année. Alors Pauline cherche des solutions, las de savoir que le chemin est tracé et que ces personnes s’octroient le droit de lui rayer une année de sa vie en prétextant un quelconque retard.
Je vous parle d’une réunion qui a eu lieu entre les enseignants et elle. Réunion où Pauline propose un médiateur spécialisé dans l’autisme. Médiateur qui sera là pour décoder le langage de Pauline et le rendre plus concret pour eux. Malheureusement, c’est un refus catégorique de leur part. « Tu t’exprimeras seule, tu tenteras de nous faire comprendre ou tu peux partir ».
Pauline arrêtera ses études, juste après cette réunion.
Je vous parle de Lola qui trop enfoncée dans une année difficile perd le fil de ses études sans avoir de soutient de la part de ses enseignants. Malgré tous ses efforts, pour elle aussi le verdict tombe, c’est l’échec. Alors elle tentera sa chance ailleurs, à Saint-Luc. Grave erreur. Saint-Luc n’est pas fait pour elle, elle retourne à l’Académie où ce changement de parcours est vu par ses professeurs comme de l’insolence et de la provocation. Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes.
Je vous parle d’Anastasia, qui après un bachelier à Saint-Luc très valorisant et des projets plein la tête se retrouve confrontée au Master de l’Académie. Elle y connaîtra son premier burn-out ainsi qu’un ulcère à seulement 22 ans.
Je vous parle de Salvatore, garçon de 29 ans sûr de lui et charismatique qui va se retrouver face à des enseignants à l’ego qui fâche. Sa confiance en ses compétences est perçue comme de l’arrogance. Il constatera des aberrations dans ses cotations sans réelle justification. Il se retrouvera infantiliser. Il se verra mis à la place de l’enfant face au maître avec cette phrase dite dans la cour entre 2 clopes « Quand tu es face à quelqu’un qui sait mieux que toi, tu te tais », concernant un sujet que Salvatore maîtrisait mieux que sa poche.
Et je vous parle de tous ces jeunes que je croise dans la rue, dans la vie, qui s’accorde à dire que l’Académie est un trou dont on peine à sortir. Que c’est une niche d’artistes enseignants ratés qui ont trop peur du talent d’autrui et préfèrent se congratuler entre eux afin de booster leur ego.
Je vous parle d’une école qui est en rivalité avec une autre et qui en fait payer ses élèves. Je vous parle d’une école payée par la ville qui n’a aucun regard sur ses recrutements. D’une école où les enseignants ne sont pas diplômés dans le domaine qui importe le plus.
D’une école qui écrase les plus faibles sous prétexte de ne laisser en ressortir que les meilleurs, les durs d’esprit.
D’une école qui ne s’investit pas pour ses élèves, qui met une séparation entre les sections.
Auteure : Anonyme, 24 ans, Liège
CET ARTICLE A ÉTÉ PRODUIT LORS D’UN ATELIER SCAN-R.