Scan-R organisait des ateliers d’écriture au sujet des inondations (Province de Liège, 2021). A Liège et Verviers, des jeunes avaient alors l’opportunité de s’exprimer sur le drame.
Lors des inondations, je n’ai pas pris la chose au sérieux. J’avais 13 ans, l’âge où l’on rit même quand le monde pleure. Je me suis réveillée avec un SMS, une alerte d’inondation. J’ai ri. Un rire nerveux, immature, inconscient. Puis j’ai ouvert les réseaux sociaux, et dans les stories de mes amis, j’ai vu l’eau monter, les rues se transformer en rivières, les maisons devenir des épaves. Et pourtant… je riais encore. J’en parlais avec des amis, avec des profs, on partageait des vidéos absurdes, des montages, des mèmes. Même de gros influenceurs parlaient de Verviers. On n’y croyait pas. Et puis, c’était fini. Le rire s’est évaporé, comme la vie de certaines personnes.
Je voyais la solidarité, les dégâts, les visages marqués, et je continuais à rire. Pas par méchanceté. Mais par détachement. Parce que quand on n’est pas touché, on détourne le regard. On se dit que ça ne nous concerne pas. Et c’est triste. Terriblement triste. J’ai grandi. Quelques années ont passé. Et j’ai compris. Compris ma stupidité, mon ignorance, celle de ma génération aussi. On rit de tout. On voit des Américains danser sous les tempêtes, des TikToks sur des tsunamis, des feux à Los Angeles devenus des fonds de vidéos. Ce n’est pas moi le problème. C’est nous. Notre habitude à rire de tout et de rien, à anesthésier la douleur avec des likes.
Quand j’ai réalisé ça, je me suis intéressée aux inondations. C’était ma façon de m’excuser. De réparer, un peu. Et là, j’ai vu. Les morts. La destruction. Les familles sans toit, sans repères. Mais ce qui m’a le plus choquée, c’est d’apprendre que les barrages avaient été ouverts pendant les pluies torrentielles… des pluies annoncées. Et aujourd’hui, tant de questions restent sans réponse. Et s’ils les avaient ouverts plus tôt ? Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Est-ce que ça aurait sauvé des vies ? Je ne sais pas. Mais je sais que le rire, parfois, peut être une forme de fuite. Et qu’il est temps d’arrêter de fuir.
Auteure : Joudia, 17 ans, Liège
CET ARTICLE A ÉTÉ PRODUIT LORS D’UN ATELIER SCAN-R.