Depuis plusieurs mois, nous assistons à la réalisation d’un bien triste tableau, surréaliste presque, portant le nom de “Ceci n’est pas une politique migratoire indigne”. L’État se refuse à appliquer les décisions de justice des tribunaux belges et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. A la suite des avocat·es et des magistrat·es, nous, étudiant·es et jeunes diplômé·es en droit, souhaitons aussi exprimer avec force notre désapprobation face au bafouement des principes fondamentaux que nous avons appris sur les bancs de nos auditoires.

C’est l’histoire de Monsieur Camara A.. Persécuté, il fuit la Guinée et parvient à rejoindre le territoire du plat pays en juillet 2022. Il demande alors ici la protection internationale. Dès cet instant, selon la loi belge, ce dernier a le droit d’être respecté dans sa dignité ; cela implique notamment qu’il doit pouvoir bénéficier d’une place d’hébergement au sein d’un centre d’accueil, et ce jusqu’au moment où les autorités auront statué sur sa demande d’asile (Article 6, Loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers). Prévoir un lit et un toit où se réchauffer et manger, c’est une obligation de résultat contraignante qui est inscrite dans le droit belge en conformité avec différents textes supranationaux.

“Contraignante”, vous avez dit ? Pour notre gouvernement, cela ne semble pas être si obligatoire, après tout. « On ne va quand même pas s’imposer de respecter notre propre droit !» entendons-nous résonner dans un discours silencieux. Des mois après son arrivée, ce ressortissant guinéen dort toujours dehors. L’Etat belge est condamné par le tribunal du travail pour non-respect de ses obligations. Mais l’inaction reste le mot d’ordre. Alors que l’hiver s’installe, nos politiques se préparent pour une longue hibernation. Il commence à geler. L’homme dort toujours dehors.

On passe ensuite à l’étape supérieure. Vu que l’État belge ne respecte pas sa loi, ni les injonctions de ses propres juges, l’affaire est portée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Le 31 octobre 2022, la Cour se prononce : la Belgique est rappelée à l’ordre. Elle doit immédiatement se conformer aux décisions de la Justice. Les mois passent, mais l’homme dort toujours dehors !

Ce récit scandaleux, il n’est qu’un parmi des milliers d’autres. Selon les propos récents de la secrétaire d’Etat à l’Asile et à l’Immigration, Nicole de Moor, ce sont au minimum 2400 personnes qui aujourd’hui attendent toujours dans la rue que les autorités statuent sur leur demande d’asile, privées de leurs droits les plus élémentaires. Le tribunal du travail a pourtant déjà prononcé plus de 5000 condamnations en un an. Des astreintes ont été imposées, sans être jamais payées. La CEDH a entre-temps ordonné 1114 mesures à la Belgique. Du côté du gouvernement, silence radio.

Le 9 mars dernier, le printemps qui s’annonce semble avoir réveillé les esprits étourdis. Un accord a été trouvé : 2000 places d’accueil vont être créées. Objectif : que tous les demandeurs puissent voir leur droit à l’accueil respecté … avant l’hiver prochain ! Et entre temps, que fait-on ? Face à l’absence de solutions dans l’immédiat, ces personnes démunies ont été contraintes de rester dehors. Après avoir été évacuées de leur campement de fortune le long du canal à Bruxelles, puis de l’Allée du Kaai, certaines d’entre elles investissent un bâtiment public inoccupé à Saint-Josse. Que font les pouvoirs publics ? Les expulser du lieu, sans appel. Sans solution.

Sur les bancs de l’université, nous avons appris ce que signifiait le respect de l’État de droit, à savoir l’application de la loi et des décisions de justice par tous, y compris les autorités politiques. Ce principe essentiel forme le socle de notre système démocratique. Par son attitude, notre gouvernement enfreint ce principe fondamental. Par là-même, il met à mal les garanties associées à nos droits et libertés les plus élémentaires.

Dans un État de droit, vous n’avez pas le loisir de choisir si oui ou non vous vous conformez à un verdict judiciaire, surtout lorsque des milliers de décisions nationales et internationales vous ordonnent de mettre fin à une violation. La Belgique aurait dû appliquer ces décisions il y a des mois, pour enfin se conformer à ce que la loi prescrit. A défaut, elle doit le faire aujourd’hui même, en garantissant immédiatement des solutions d’accueil dignes et respectables. Pour que Mr Camara A., et tous les autres, ne dorment plus dehors cette nuit.

Ce texte a été écrit par Antoine Thill et Baptiste Van Tichelen, ainsi que plus de 100 cosignataires, étudiants ou qui ont étudiés dans les universités suivantes : Universiteit Gent, Katholieke Universiteit Leuven, Université de Mons, Université Catholique de Louvain, Université de Liège, Université Libre de Bruxelles, Université Saint-Louis Bruxelles, Université de Namur.

Auteur : Antoine, Baptiste et plus de 100 cosignataires

CET ARTICLE EST UNE CONTRIBUTION EXTERNE.

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