Tout au long de notre vie, nous tournons des pages, souvent avec la peur d’avancer, d’ouvrir un nouveau chapitre. Cette peur est alimentée par les blessures du passé, par ces pages remplies de chagrin, de déceptions et de souffrances. Parfois, il est difficile de parler de notre vie d’avant, car elle nous hante, et ces souvenirs douloureux refusent de disparaître. Pourtant, pour avancer et écrire une nouvelle page de notre histoire, il faut trouver la force d’affronter ces cicatrices.
Il y a des moments où l’on voudrait simplement ouvrir notre livret et continuer à écrire, à construire un avenir. Mais le poids des absents, des personnes qui ne sont plus là, nous retient. Comment continuer à vivre quand chaque pas est alourdi par le souvenir des trahisons, des deuils et des blessures ? Sur ma nouvelle page, je veux écrire sur les amis et amies de la rue. Ces rencontres m’ont appris une leçon précieuse : même dans l’adversité la plus grande, il y a des gestes d’humanité qui subsistent.
Dans la rue, on marche sans cesse : pour trouver à manger, pour boire un café ou un chocolat chaud. On apprend à préserver un semblant de dignité : prendre une douche quand on le peut, changer de vêtements pour montrer que, même dehors, on reste propre sur soi. Malgré tous ces efforts, l’indifférence des autres pèse lourd. Les regards qui jugent et les préjugés blessent autant que le froid ou la faim. La rue laisse des cicatrices profondes : sur le corps, dans l’esprit et au plus profond de l’âme.
Il y a tellement de douleurs qu’on porte en silence. On tait nos souffrances par peur d’être critiqué ou jugé encore davantage. La société a souvent du mal à voir l’humain derrière l’image du sans-abri. On cache parfois notre situation à nos proches pour ne pas leur montrer ce que nous sommes devenus. Mais dans cette lutte quotidienne pour survivre dehors – chercher un abri pour dormir ou affronter les nuits glaciales sur un carton – la dignité humaine semble s’effacer. Les abris de nuit sont souvent pleins ; trouver un lit chaud est une bataille en soi. Alors on dort où on peut : dans une entrée d’immeuble, un garage ou sur un banc public. Mais même là, on n’est pas en sécurité. La peur d’être volé ou chassé par la police est constante. Dormir sur un banc devient presque un crime aux yeux de certains : on nous reproche d’abîmer l’image de la ville. L’indifférence se transforme parfois en hostilité ouverte : des insultes lancées par ceux qui ont du pouvoir ou par ceux qui ne comprennent pas ce que signifie vivre dehors.
Pourtant, nous restons humains comme eux. Nous avons simplement perdu une adresse fixe, mais pas notre humanité. Et malgré tout cela – malgré les injustices et les humiliations – nous continuons à nous battre pour rester debout, pour survivre et pour espérer un jour tourner cette page sombre de notre vie. N’oublions jamais les personnes de la rue. Elles mènent chaque jour un combat invisible contre l’indifférence du monde et contre leurs propres blessures intérieures. Leur courage est immense, même si leurs cicatrices ne disparaîtront jamais complètement.
NDLR : Parfois, Scan-R partage la parole des personnes ayant plus de 30 ans. Elles écrivent au sein d’institutions en lutte contre la précarité.
Auteur : Willy, 58 ans, Charleroi
CET ARTICLE A ÉTÉ PRODUIT LORS D’UN ATELIER SCAN-R.