Pour Zane, d’une part, il y a ce qu’on devrait être, aimer et faire à tel ou tel autre âge, ce à quoi on devrait correspondre à l’idée générale, dominante. D’autre part, il y a ce que l’on aime, ce que l’on est, qui on est. Cette seconde part souvent, parfois, isole des autres parce qu’on n’est pas dans la norme, dans les bonnes cases… C’est l’histoire de la vie de Zane.
Il me laisse tomber
Cinquième primaire, temps de midi, dans la cour. Je discute avec mon meilleur ami, à l’époque, le seul ami. Quelqu’un nous appelle. On se lève et on lui dit : “Que veux-tu ?”. Dans ma tête, la question était plutôt : “Mais qu’est-ce qu’il veut encore celui-là ?”. Il nous demande si on veut jouer avec lui. On acquiesce, mais il me rétorque : “Non, pas toi.” Je regarde mon meilleur ami en espérant qu’il fasse quelque chose, mais il part avec eux. Il me dit qu’il reviendra vite. Je me rassois, je les regarde jouer. De loin, j’observe la réalité des “gens populaires”. Le temps passe, je m’ennuie. Je marche d’un pas las, je fais le tour de la cour plusieurs fois, je les regarde s’amuser en me répétant inlassablement : “Pourquoi m’a-t-il recalé ?”. Je ne dois pas être assez bien, mon profil est trop loin de la case du « mec populaire”. Mon ami est le seul à être parti avec eux. Lui, il sait s’adapter. Moi ? J’en suis incapable. Essayer les dernières choses du moment, le dernier jeu qui vient de sortir, les dernières tendances dans la cour, les nouveaux gadgets… Ça ne m’intéresse pas. Vers 13h15, je marche vers eux, ils me dévisagent. Je m’apprête à parler quand mon ami me prend à l’écart et me supplie : “Ils sont sympas, s’il-te plait, ne gâche pas tout.” Il me laisse là, seul, choqué. La cloche sonne. Fin de la récréation. Début du cauchemar. Le lendemain ? Ça recommence…
À part
Sixième primaire, je vis le même genre de rejet. Certains groupes m’acceptent mais je suis fréquemment pointé du doigt. Par exemple, j’enfile – systématiquement – le rôle le moins amusant du jeu, ou le rôle “à part”. On joue aux policiers et aux voleurs… Je suis le seul policier contre cinq ou six voleurs. Je décide de ne plus jouer avec eux. Ce n’est pas marrant d’être seul dans la cour. Je pense que c’est surtout ma personnalité et mes centres d’intérêt atypiques qui m’ont éloigné de ces personnes. Les élèves jouent aux jeux de combat, d’horreur et d’armes alors que moi, je n’ai jamais trop aimé la violence.
À chaque âge sa galère ?
Je crois que ce genre de décalage ne touche pas que les jeunes. À chaque âge, son lot de stéréotypes et sa case « populaire ». À 3 ans, on attend de l’enfant qu’il soit souriant, qu’il soit tout mignon, qu’il ne pleure pas trop … À 10 ans, “on” attend d’un petit garçon qu’il joue à la guerre, “on” attend de la petite fille qu’elle joue à la poupée. À 15 ans, si tu n’as pas déjà joué au dernier jeu tendance, t’es traité de ringard. À 18, tu as intérêt à entamer de grandes études, sinon tu es traité de “raté” par les autres, de “sans avenir”. À 30 ans, c’est bien que tu sois marié et que tu aies tes premiers enfants, parce que sinon “l’horloge biologique tourne, n’oublie pas que tu ne seras pas jeune toute ta vie!”. À 60, tu as intérêt à avoir bien profité de la vie, mais attention aux rides, ça ne doit pas trop se voir sur ton visage.
N’oublions pas que, lorsqu’on est harcelé et ce à tout âge, il ne faut pas hésiter à en parler à sa famille, à l’équipe pédagogique de son école, à la personne concernée ou à un ami (un vrai).
Ce que je voudrais
Moi, ce que j’aimerais, c’est qu’on puisse être soi-même et être accepté par les autres malgré les différences et les décalages de centres d’intérêts. Le rejet bloque et nous amène à ne pas oser explorer ce qui nous plait vraiment, or c’est précisément là que se trouvent les richesses qui nous rendent uniques.
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