Devons-nous nous sentir redevables envers nos parents adoptifs ?

Je m’appelle Sylvie (prénom d’emprunt). Enfin plutôt Chan. Sylvie est le prénom que mes parents adoptifs m’ont attribué lors de mon adoption pour me permettre de mieux m’intégrer dans la société occidentale.

Je suis d’origine chinoise, je viens d’une grande ville nommée Souzhou au Sud de la Chine. J’aurais été retrouvée seule dans un marché comme de nombreux bébés.
En 2004, la politique de l’enfant unique sévissait encore. À cette époque et encore peut-être aujourd’hui, les parents chinois préfèrent abandonner les filles que les garçons. Lorsqu’ils grandissent les garçons restent avec leur famille biologique tandis que la fille part avec une dot dans sa belle-famille.

On ne sait pas si la raison de mon abandon est celle que je viens d’énoncer.
En fait, on ne sait rien.
Presque rien.
Nous ne sommes pas sûrs de ma réelle date de naissance.
Nous ne sommes pas sûrs des réelles circonstances de mon adoption.
Nous ne sommes pas sûrs de ma réelle histoire.
Contrainte ? Choix ? Viol ?

Aujourd’hui, j’ai 18 ans et j’essaie de guérir du traumatisme de l’abandon. Cela pourrait étonner mais je ne cherche pas à avoir plus de réponses. D’un côté, je m’en fiche mais d’un autre, j’ai peur. Peur de faire éclater la vérité et de savoir que je ne n’étais pas voulue. Peur de voir qu’on a pas pu me garder parce qu’ils n’avaient pas assez d’argent. Ou bien qu’ils voulaient un garçon. Ou bien étais-je victime du marché noir ? Sans vouloir être pessimiste bien entendu.
Le fait est que me voilà. Sylvie. J’ai été adoptée à l’âge de 11 mois, juste avant la tradition du rasage de tête des enfants d’un an. Ouf, j’y ai échappé. Je suis arrivée en Belgique le 13 juin 2005, le jour de l’anniversaire d’une de mes sœurs, dans un foyer où un jeune couple avait du mal à avoir un enfant. Je suis la dernière dans une sororité de 4. Une coréenne, une biologique et deux Chinoises.

Aujourd’hui j’en souffre. Énormément. Je ne le dis pas, ça ne se voit pas. Comment vivre alors qu’on ne sait rien de son histoire ? Comment vivre alors que les deux premières personnes qui sont censées nous aimer nous abandonnent ? Comment vivre alors qu’on ne voulait pas être ici ?

Lorsqu’on me pose des questions à propos de mon adoption, elles sont heureusement ou malheureusement très superficielles. « Tu viens d’où ? Pourquoi t’as été adoptée ? T’as été adoptée à quel âge ? » et la conclusion est toujours la même : « Tu as de la chance d’avoir été adoptée ».

De la chance ? Juste, comment osez-vous dire cela ? Est-ce de la chance d’avoir été abandonnée ? Est-ce de la chance d’avoir été déracinée de son pays et de sa culture ? Est-ce de la chance d’être le fruit d’une volonté purement égoïste de vouloir un enfant ? Non. Ne vous avancez pas sur ce que vous ne savez pas.

La société, qui j’espère changera, voit l’adoption comme une chance. Une bénédiction. Quand est-ce que les regards changeront à propos de cela ? Non. Mes parents ne m’ont pas sauvé d’une vie misérable. Non. Ils ne sont pas mes sauveurs. Ils sont la cause de mon fléau.

Sylvie ? Une nouvelle identité. On efface tout et on recommence ? Une page blanche le bébé ? « On supprime son abandon et on fait comme si c’était le nôtre hein ? ». On oublie son histoire et on n’en parle plus.

Le pire c’est que la société m’a tellement bien intégrée que je dois me rappeler moi-même que je suis d’une autre origine. Chaque remarque sur ma couleur de peau est un véritable coup de poignard. Chaque remarque me rappelle à quel point je suis différente et que je ne devrais pas être ici. Chaque remarque me rappelle que j’ai été lâchement abandonnée et que je dois trouver ma place quelque part dans cette société que je ne voulais pas.

Mes parents ont décidé d’adopter en Asie plutôt qu’en Afrique. L’intégration sera plus facile, pensaient-ils. Le racisme sera moins fort, disaient-ils. Mauvaise pioche, le COVID est arrivé.

Oh loin de moi l’envie de cracher sur les belles opportunités que j’ai. Je suis dans une famille où l’argent n’est pas un problème. Je suis dans une famille qui est aimante. Je suis voulue dans cette famille. Et je m’entends bien avec mes sœurs.
Mais dois-je pour autant être reconnaissante ? Dois-je réellement leur devoir quelque chose ? Dois-je réellement me comporter bien pour les remercier ? Leur faciliter la vie car ils m’ont « sauvée » ? Non. Je ne leur dois rien. Je suis en colère. En colère contre le monde entier.

Finalement, nous ne sommes que le fruit des choix des autres. Et nous ne pouvons rien y changer. Alors le seul conseil que je pourrais donner est que lorsqu’on ne sait pas qui on est, on peut s’inventer soi-même. Trop longtemps, ma vie a été dictée par les autres. Je me pliais à leurs attentes en voulant leur faire plaisir. Ça a fonctionné. Et je dois l’avouer que ça me plaisait. J’étais la parfaite petite fille sage et calme qui excelle en tout. De beaux points, un bon comportement et une bonne éducation. Mais est-ce réellement moi ? Je suis le standard de ce qu’on attend des autres et pourtant je ne suis pas heureuse.

Aujourd’hui, je veux changer et devenir celle qui vit en moi cachée quelque part. J’ai envie d’apprendre à me connaître. J’ai envie de me rencontrer et de faire la paix avec moi. Ces dernières années, j’ai appris et j’apprends encore. J’apprends à faire mes propres choix et à les suivre selon mes envies. J’apprends à réguler ce que je donne et à poser mes limites. J’apprends à m’adapter en symbiose avec moi. J’apprends à m’écouter. Peut-être que ça me prend énormément d’énergie, oui. Mais j’apprends.

J’apprends à vivre tout simplement.

Auteure : Anonyme, 18 ans, Bruxelles

CET ARTICLE A ÉTÉ PRODUIT LORS D’UN ATELIER SCAN-R.

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