De la sortie de la bouche de métro à la place Poelaert, Maya nous emmène à la manifestation du 7 juin 2020. Ce jour-là, plus de 10 000 personnes s’étaient donné rendez-vous pour dire non à la violence faite aux Noir·e·s.

Je suis seule

Masque sur la bouche, je sors de la station de métro. Je suis déterminée, mes épaules sont en arrière, mon dos est droit. Devant moi, deux amies souriantes discutent, un baffle en main, de superbes tresses plein la tête. Je m’engage dans la rue Royale, elle nous amènera au Palais de justice de Bruxelles, sur la place Poelaert. Je sens monter l’effervescence. Je croise d’autres individus. Personne ne se connait mais toutes et tous marchent dans la même direction. Toutes et tous, nous portons le masque, on ne voit que la moitié de notre visage. Pour une fois, ce n’est pas grave, seuls les yeux comptent, ce sont eux qui pétillent, de rage et d’envie de vivre.

Nous sommes sept

On passe devant le Palais Royal. De petits groupes arrivent de partout. Nous sommes cinquante. Nous nous engageons, ensemble, dans la rue de la Régence. On s’engage, dans tous les sens du terme. Un pas, puis l’autre, on avance. Je ne connais personne pourtant on dirait que cette même cause nous unit. Toutes, tous. blanc·he, noir·e, petit·e, grand·e, arabe, asiatique, crépu·e, frisé·e, lisse, yeux ronds ou en amande, baraqué·e ou bien gringalet·te. Des frissons parcourent mon corps. Toutes et tous, nous marchons… Nous sommes cent-vingt.

Nous sommes des milliers

Arrivée place Poelaert, je suis percutée par la vue qui s’offre à moi : une masse de monde. J’entends des cris au loin. Je n’en discerne pas encore le sens mais je me les imagine. Des « I can’t breathe (1)» et des « black lives matter (2) » doivent sortir des 8 000 bouches présentes, avec une conviction folle. 8 000 personnes. La colère, pour ne pas dire la rage, accumulée en moi, en nous, depuis ces derniers jours, semaines, mois et années se disperse de plus en plus vite dans mon corps. J’avance de plus en plus vite. Je me sens portée. Je tente de trouver une place. Pas trop centrale par sécurité, mais entourée, juste pour ressentir cette satisfaction d’être ensemble. La manifestation n’a pas encore commencé que la foule se soulève, qu’elle parle fort, qu’elle crie , qu’elle se fait entendre.

Nous sommes incalculables

Une petite tête bouclée sort de la foule, je suis heureuse de voir mon amie me rejoindre, de partager ce moment avec elle, de voir que je ne suis pas la seule de mes amis à vouloir m’investir. Les gens continuent d’arriver et de s’ajouter à cette immensité de gens masqués. Il y a quelques personnes du troisième âge, des parents avec leurs enfants, des jeunes avec leurs amis, un petit garçon sur les épaules de son père, s’émerveillant devant la quantité de monde.

Justice en travaux

J’observe un moment le palais de justice en travaux devant lequel nous sommes. Je trouve ça tellement symbolique : cette justice cassée qu’on a voulu un jour tenter de réparer avant de se décourager. Cette justice que nous voulons ressusciter à coup de cris et de slogans. Des panneaux de toutes tailles se dressent les uns après les autres. Des phrases portées par un courage fou se font entendre dans un mégaphone. Les gens se réveillent encore un peu plus, applaudissent, crient, se révoltent… La tension monte, une bonne tension, une tension contagieuse qui s’élève durant une heure et demie de manifestation.

Le poing levé

Mais le moment dont je me souviendrai, c’est une minute où nous sommes 10 000 personnes, le genou à terre, le poing levé dans un silence complet, face aux caméras, face à ce monde qui se détruit de jour en jour. 10 000 personnes, avec les millions d’autres manifestants dans les autres pays. Des millions de personnes qui ont comme rêve fou que 7 milliards d’individus soient, un jour, toutes et tous accepté·es comme elles et ils sont.

(1) « I can’t breathe » ou, en français, « Je ne peux pas respirer » est la phrase que George Floyd (USA, 1973 – 2020), a prononcée plus de vingt fois durant les huit minutes pendant lesquelles l’agent de police Derek Chauvin (USA, 1976) lui écrasait le cou.
(2) « Black lives matter », le 13 juillet 2013 à Sanford, aux USA, Travyon Martin (USA 1995-2012) , un adolescent noir de 17 ans, est abattu par le vigile George Zimmerman (USA, 1983). Suite à ce meurtre, l’homme est pourtant acquitté par la justice ; pour elle, il est innocent. Choquée par ce jugement, une journaliste et militante pour les droits des Noir·es écrit et publie un texte qui se termine par « Black People. I love you. I love us. Our lives matter. » Une de ses amies republie ce texte sur Twitter et crée le hashtag #BlackLivesMatter.

A écouter aussi en podcast ici

Auteure : Maya, 17 ans, Bruxelles

Cet article a été écrit lors d’un atelier Scan-R

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